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Moyen Orient et Monde - Interview

« Assad a proposé un récit qui a été repris aujourd’hui par d’autres régimes »

Marie Peltier répond aux questions de « L'OLJ » sur la fabrication des discours alternatifs concernant les conflits internationaux.

Les déclarations d’Aung San Suu Kyi suscitent des réactions hostiles dans le reste du monde. Photo AFP

Marie Peltier, historienne de formation et auteure de L'Ère du complotisme, (Les petits matins, 2016), décrypte pour L'Orient-Le Jour le succès des discours de substitutions véhiculés par certain régimes, comme la Syrie, la Birmanie ou le Venezuela, afin de présenter une « autre version » des conflits internationaux.

Vous établissez un parallèle entre la ligne de défense adoptée par Aung San Suu Kyi concernant la répression des Rohingyas en Birmanie et le discours de Bachar el-Assad sur le conflit syrien. En quoi sont-ils comparables ?
Aung San Suu Kyi a parlé de désinformation et de lutte contre le terrorisme. En utilisant ces deux objets narratifs, elle entend, d'une part, dénoncer la désinformation soi-disant massive au sujet de la situation et, d'autre part, parler de défense contre le terrorisme. C'est précisément les deux objets narratifs qui ont été utilisés par Damas dès le début du soulèvement en 2011.
Quand on se rappelle des premières déclarations d'Assad au début de la révolution, c'était exactement les deux « boutons sémantiques » sur lesquels il a appuyé. Le schéma utilisé est devenu récurrent : « On vous ment, ce qu'on vous dit n'est pas réellement ce qu'il se passe », tout en rattachant à cela des thèses complotistes. Donc il y a le côté « je suis victime, c'est de la désinformation, ne croyez plus les médias », mais dans le même temps, « je combats le terrorisme ». Nous assistons ainsi à une certaine victoire narrative d'un récit qui a pu « s'implanter » grâce au conflit syrien.

Dans quelle mesure son discours est-il directement influencé par celui du régime syrien ?
Il est difficile d'évaluer ce qui est conscient et non conscient. Je reste prudente par rapport à Aung San Suu Kyi. On a beaucoup d'attente à son égard, elle est Prix Nobel de la paix, mais je pense qu'en ayant une lecture plus globale, effectivement, Assad a été malgré lui un inspirateur pour les discours de propagande. Il a eu un certain génie de la communication à ce niveau-là. On dit souvent aujourd'hui que c'est la Russie qui a inspiré Assad dans sa communication. Je pense qu'à certains égards, c'est l'inverse, c'est-à-dire qu'Assad a vraiment proposé un récit qui aujourd'hui a été repris par d'autres régimes et pas mal d'acteurs oppressifs.

 

(Pour mémoire : Attentats : les complotistes se déchaînent)

 

La rhétorique du pouvoir birman peut-elle se révéler payante sur le long terme ?
C'est un terrain extrêmement mouvant. Ce qui est sûr, c'est que les médias pro-Kremlin y mettent toutes leurs forces en utilisant les ressorts narratifs évoqués précédemment. Une des choses qui pourraient mettre en échec ce récit, c'est qu'il y a actuellement une forte mobilisation pour les Rohingyas de la part des militants des droits humains et de la communauté musulmane dans son ensemble. Certes, il existe un terreau favorable pour cette propagande russe, mais je vois aussi des élans de solidarité à l'égard de cette population opprimée. Je mise sur l'impact positif du temps, en espérant que certaines personnes remarqueront qu'on leur vend toujours le même discours, et que celui-ci sera questionné.

Le fait que les Rohingyas soient musulmans a-t-il joué un rôle ?
La sphère médiatique prorusse surfe sur l'islamophobie ambiante de manière très claire. Comme les Rohingyas sont en train de devenir une « cause musulmane », il y a vraiment matière à dire. Comme toujours également, ils associent des ressorts antisémites, avec des théories par rapport à George Soros (NDLR : un milliardaire américain connu pour sa philanthropie), personnage portant la responsabilité de nombreux maux selon eux. On observe donc l'utilisation de ressorts islamophobes, antisémites et complotistes, matrices de leur propagande. Effectivement, cela fait mouche dans pas mal de cas puisque l'islamophobie et l'antisémitisme sont tous les deux des racismes très puissants actuellement.

Par analogie, peut-on dire que la même rhétorique est mobilisée par le régime de Nicolas Maduro au Venezuela ?
C'est très frappant, pour la Syrie, pour le Venezuela et pour la Birmanie à présent, on a tout à fait le même justificatif, on a le même type de discours de propagande qui se met en place, appuyé d'ailleurs ici par des acteurs similaires. Toute la nébuleuse conspirationniste qui rassemble à la fois des gens d'extrême droite et des gens de la « gauche radicale » est au garde-à-vous.

 

(Pour mémoire : "On te manipule", la nouvelle campagne du gouvernement français contre le complotisme)

 

Dans ce cas, parleriez-vous d'une sorte d'internationale « rouge-brune » ?
Je suis d'accord avec l'observation du phénomène mais je préfère ne pas employer ce terme. C'est un terme qui est lui-même instrumentalisé, on utilise cette étiquette à tort et à travers, mais elle désigne une réalité observable, c'est-à-dire une collusion entre des réseaux d'extrême droite et des réseaux de gauche radicale, souvent eux-mêmes issus de courants staliniens.
Souvent, ce qui relie l'extrême droite et ces milieux d'extrême gauche, c'est le lien plus ou moins proche avec les réseaux russes, avec Vladimir Poutine. Ces dernières années, il y a eu un rôle centralisateur de Moscou dans la propagation de ces discours. La propagande des médias russes est très forte en ce moment, elle propose véritablement un récit de substitution à tous les conflits internationaux, et ce récit de substitution est devenu paradigmatique pour de nombreuses personnes.

Dans votre ouvrage «L'Ère du complotisme», vous parlez d'une « crise de confiance » des opinions publiques vis-à vis des médias liée à l'invasion de l'Irak en 2003. Qu'entendez-vous par là ?
Cette guerre déclenchée sous un faux prétexte (NDLR : les armes de destruction massive du régime de Saddam Hussein) a joué un rôle énorme et essentiel dans les soutiens actuels aux dictatures. La référence à l'Irak est permanente, c'est devenu une sorte de mantra. Cette séquence de 2003 constitue ce que j'appelle « la preuve du mensonge de l'Occident », puisqu'à partir de là, on sait que l'administration Bush a menti, et qu'en plus, au sein même de l'Occident, tout le monde savait que c'était un mensonge. Il y avait vraiment le sentiment qu'on dupait les populations et qu'on allait contre leur sentiment et leur avis.
Le phénomène avait néanmoins déjà commencé après les évènements du 11 septembre 2001 avec une rupture de confiance assez grande dans l'opinion publique. Sur ce terreau-là, il y a eu des discours de substitution, des narrations de substitution, des discours de propagande, qui sont venus comme proposer « l'autre version ».

Marie Peltier, historienne de formation et auteure de L'Ère du complotisme, (Les petits matins, 2016), décrypte pour L'Orient-Le Jour le succès des discours de substitutions véhiculés par certain régimes, comme la Syrie, la Birmanie ou le Venezuela, afin de présenter une « autre version » des conflits internationaux.
Vous établissez un parallèle entre la ligne de défense adoptée...

commentaires (4)

TOUS CES REGIMES PAYERONT !

LA LIBRE EXPRESSION

17 h 37, le 14 septembre 2017

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Commentaires (4)

  • TOUS CES REGIMES PAYERONT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 37, le 14 septembre 2017

  • Si d'autres états prennent exemple sur le petit Hitler, c'est qu'ils n'ont rien compris au rôle d'un chef d'état d'un pays et qu'il a été élu pour le bien de son pays et de son peuple. De plus , ils ne savent que gouverner que par la violence, la torture et la flagornerie La Syrie connait cela depuis 40 ans et les Assad ont même tenté cette violence, chez nous au Liban

    FAKHOURI

    15 h 52, le 14 septembre 2017

  • Lamentablement biaisée comme interview, MINABLE. Sauf que la différence avec le héros syrien BASHAR EL ASSAD, les sponsors des bactéries wahabitesa savoir la bensaoudie et les emiratis , en ce qui concerne les rohingas sunnites , n'ont pas pipé le moindre mot sur ce veritable génocide. Répondez à cette question mme comment déjà ? ?

    FRIK-A-FRAK

    13 h 26, le 14 septembre 2017

  • Et voila comme on l'avait affirmé le cas de la syrie fera jurisprudence et d'autre régime feront pareils !!

    Bery tus

    07 h 23, le 14 septembre 2017

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