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De l’air, de l’air...

Parfois cocasse et parfois embarrassant, un lapsus est, comme tout le monde sait, une erreur commise en s'exprimant, que ce soit par la parole ou par l'écrit ; elle consiste à substituer au terme approprié un autre mot, lequel n'a rien à voir. Par la faute d'une malicieuse homonymie, c'est ainsi que les services de l'Élysée se laissaient aller, il y a quelques jours, à faire du Liban le premier récipient d'air (et non récipiendaire) des bienveillantes attentions de la France. Faute vite corrigée, faute volontiers absoute : fidèle à une amitié séculaire, l'Hexagone s'est en effet engagé à promouvoir plus d'une conférence internationale de soutien à notre pays.


Il n'en reste pas moins que le Liban n'aurait pas trop souffert – c'est même tout le contraire – s'il lui était donné de baigner dans la gazeuse, l'éthérée, l'aérienne consistance dont on l'a étourdiment gratifié à Paris. Car il manque sérieusement d'air, et plus précisément d'air pur, le Liban : cela pas seulement parce que la pollution, absolument incontrôlée, a supplanté les légendaires flots de lait et de miel que nous décernait la Bible ; pas seulement à cause de la pestilence des égouts éventrés ou déversant leur contenu dans la mer, ou encore de la sempiternelle crise des ordures ménagères.


Si l'atmosphère est à ce point irrespirable dans notre beau pays, la raison en est surtout l'irresponsabilité et la corruption de la caste gouvernante, toutes deux favorisées (sinon encouragées) par une révoltante tradition d'impunité. Vous puez, s'est-on longtemps égosillé à hurler, à l'adresse des responsables ; mais les gorges des manifestants ont forcément fini par s'enrouer et ce beau monde continue de puer de plus belle, au gré des conflits d'intérêts autour des adjudications étatiques.


Le plus frustrant cependant est qu'au plan politique et stratégique, certains dirigeants, eux, ne manquent pas d'air ; incroyable d'insolence, de culot est leur rhétorique, développée dans le plus grand mépris de l'intelligence populaire. Ce fait aura été abondamment illustré par l'argumentaire invoqué pour défendre – et même en faire matière à célébration de masse ! – l'hallucinant épilogue qu'a connu la toute récente campagne contre les bandes de l'État islamique.


Un milicien récupéré vivant de captivité, restitution des corps de plusieurs de ses camarades ainsi que des restes de militaires exécutés, en échange d'un sauf-conduit pour la frontière syro-irakienne, délivré à des centaines de dangereux terroristes accompagnés de leurs familles. Pour tenter de justifier le très controversé marché conclu avec Daech, le Hezbollah, par la voix de son chef, a ainsi fait valoir la constance de ses options et sa fidélité à la parole donnée : deux vertus soigneusement enrobées de considérations pseudo-humanitaires, qu'on peut aisément lui contester pourtant. Car il y a un an seulement, le même Hezbollah tonitruait contre un arrangement similaire concocté aux dépens du même Irak, promu de la sorte au rang de poubelle. Quant au respect des engagements contractés, il suffit d'évoquer l'accord de Doha foulé aux pieds avec le torpillage intempestif du gouvernement, ou encore la déclaration de Baabda, dénoncée avec la même et froide désinvolture quand la milice s'avisa de prendre part aux combats de Syrie.


De faire enfin la lumière sur les circonstances dans lesquelles ont été tués ou capturés, en 2014, des dizaines de militaires pourra-t-il dorer l'amère pilule ? On ne peut que le souhaiter, si tant est que l'enquête ordonnée hier par le ministre de la Justice, conformément aux instructions du chef de l'État, ne se réduit pas à une simple gesticulation : ou, pire encore, à une chasse aux boucs émissaires sur fond de règlements de comptes politiques.


Pour faire leur deuil, c'est une trouée de transparence et de visibilité dans tout cet air vicié qu'attendent les familles des martyrs de l'armée.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Parfois cocasse et parfois embarrassant, un lapsus est, comme tout le monde sait, une erreur commise en s'exprimant, que ce soit par la parole ou par l'écrit ; elle consiste à substituer au terme approprié un autre mot, lequel n'a rien à voir. Par la faute d'une malicieuse homonymie, c'est ainsi que les services de l'Élysée se laissaient aller, il y a quelques jours, à faire du Liban le...