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Idées - Liban

Grille des salaires : des ajustements à risques

Roger Melki, économiste et consultant.

Après de multiples tergiversations s'étalant sur près de 5 ans, des réticences présidentielles de dernière minute, suivies d'une réunion de « dialogue national » au Palais de Baabda, et des rediscussions parlementaires expéditives et peu crédibles, le président de la République a signé la loi, transmise par le Parlement, et relative à «l'ajustement» de la grille des salaires dans le secteur public.

Certains des effets de cette loi sont déjà entrés en application, avec des flottements et des perturbations, concernant notamment l'augmentation de la taxe d'aéroport sans aucune procédure de paiement, un timbre fiscal de 250 livres libanaises qui n'existe pas, 1 % d'accroissement de la TVA non récupérable par les sociétés privées pour les factures des entreprises publiques, ou un allongement des horaires de travail dans les services administratifs publics, sans aucune préparation.

Avant l'adoption définitive de cette loi, on espérait quelques corrections et ajustements de dernière minute, ou, au moins, des indications susceptibles de nous éclairer sur les coûts réels de cette nouvelle hausse des salaires publics et de son impact sur l'économie en général et sur les finances de l'État, en particulier. Hélas, et sans grande surprise, nous sommes restés sur notre faim. Pire encore, et face aux nombreuses inquiétudes, les parlementaires ont adopté le principe de signer aujourd'hui les deux lois et de les réviser ensuite si cela s'avère nécessaire !

Cet amateurisme et cette déficience de gouvernance sont d'autant plus préjudiciables que les ajustements des salaires sont accompagnés d'une série de mesures fiscales supposées couvrir les coûts qu'elle va générer et qui, bien sûr, affecteront, elles aussi, les résultats économiques nationaux. Là encore, aucune estimation des revenus attendus n'est fournie ou une quelconque évaluation d'impact économique.

 

(Lire aussi : Hamadé demande aux écoles privées de ne pas augmenter leurs frais)

 

Quelles sont les principales remarques que l'on pourrait faire concernant cette décision ?

1. Faute de données précises de la part du Trésor, les analystes se rabattent sur des extrapolations et des supputations approximatives pour évaluer la dimension prise par ce réajustement des salaires. Ce dernier se situerait en moyenne entre 35 et 40% de la masse salariale de base. Sur une base annuelle, la charge réelle pour le Trésor se situerait entre 1,2 et 1,5 milliard de dollars.

2. Ramenés au PIB et à la masse budgétaire, ces chiffres traduisent des ratios inquiétants avec un déficit budgétaire annuel qui passerait à environ 11 à 12 % du PIB, gonflant du coup une dette publique qui dépasserait allègrement les 80 milliards de dollars, soit plus de150 % du PIB. À supposer qu'il y ait ajustement, n'aurait-il pas été plus sage de l'étaler et de l'ajuster sur une période plus longue ? D'autant que les ajustements de la grille des salaires n'annulent pas les corrections des salaires liées aux indices de la cherté de vie et qui pourraient s'amplifier en raison de la hausse des salaires dans le secteur public.

3. Pour les nouveaux impôts créés ou amplifiés, là aussi les appréhensions sont très grandes, non seulement en raison de leur impact négatif sur l'activité économique, mais aussi pour la complexité de leur mise en application, notamment pour les infractions relatives aux domaines maritimes publics. Les estimations des redressements fiscaux proposés par la loi laissent place à des « évaluations » très complexes de l'assiette d'imposition par les contrôleurs du fisc, laissant indéniablement place aux marchandages les plus douteux.

 

(Lire aussi : Samy Gemayel « fier » de la « révolution des institutions contre la jungle »)

 

4. Quoi qu'il en soit, ces brusques ponctions monétaires constitueront vraisemblablement un choc économique majeur, à un moment où l'on peine à sortir d'une très faible période de croissance, accompagnée de dangereux déficits budgétaires et de perspectives économiques sombres, compte tenu des crises politiques et économiques internes. La précarité interne est amplifiée par le manque d'opportunités externes, notamment dans les pays du Golfe et dans des pays africains où la diaspora libanaise est très active.

5. Les défendeurs de l'ajustement de la grille estiment qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter pour l'économie nationale, du fait que cette distribution de revenus supplémentaires devrait relancer la consommation, et, partant, réactiver les secteurs productifs. Relancer l'activité économique par une relance de la consommation interne ne semble pas être un modèle applicable pour le Liban dans la situation actuelle, dans la mesure où le pays ne souffre pas d'une surcapacité de production inutilisée, mais il est essentiellement affaibli par un manque d'investissements et un faible renouvellement de l'infrastructure et des équipements existants.

6. Pour « justifier » et faire avaliser cette brusque hausse des salaires publics, le Parlement s'est ingénié à rallonger les horaires de travail dans les institutions gouvernementales en introduisant la semaine des 5 jours ouvrables, mais en ajournant les horaires de fermeture de 14h00 à 15h30 avec une rupture de 2 heures pour la prière du vendredi. Deux remarques peuvent être faites à ce sujet : la première est relative à l'efficacité des services publics après la rupture des 2 heures du vendredi, et la seconde est liée au caractère marginal de cette mesure. En effet, sur les quelque 235 000 employés du secteur public, seuls les 17 000 fonctionnaires de l'administration centrale sont réellement concernés par ces horaires, puisque les effectifs non civils du secteur public (130 000 à 140 000 personnes) ont des emplois de temps liés aux impératifs de la sécurité, et non un horaire public ordinaire, comme c'est d'ailleurs le cas des quelque 50 000 enseignants dépendant des horaires scolaires et de l'encadrement de la profession d'enseignant, alors que les 35 000 employés des entreprises publics (EDL, télécoms, hôpitaux, offices des eaux,...) ont des horaires dépendants des exigences du service.

 

(Lire aussi : Grille des salaires : zoom sur les retombées de la suspension des taxes)

 

7. Autre conséquence majeure de cet alourdissement de charges publiques, la hausse des salaires concentrera encore plus les dépenses publiques sur les frais de fonctionnement, le service de la dette et les financements des déficits de l'EDL et autres entreprises publiques, aux dépens des dépenses d'investissements et d'infrastructures. En fait, cet alourdissement des charges généré par la hausse des salaires ne semble pas avoir limité les appétits de dépenses des autres postes, puisque le gouvernement libanais se propose d'allouer près de 1,8 milliard de dollars pour la location de centrales électriques flottantes.

8. Comble de discrimination générée par l'approbation de la nouvelle grille des salaires publics, on assiste à des demandes d'alignement des salariés du secteur privé sur les rémunérations des fonctionnaires publics. Cette observation est unique au monde, dans la mesure où l'on déplore toujours la faiblesse des salaires du public par rapport au privé.

9. Enfin, les conséquences les plus dramatiques de cette hausse sont relatives à son impact sur les retraites du secteur public, où déjà les paiements sont exceptionnellement élevés (85 % du dernier salaire et sans impôts) et dont bénéficient le retraité, son conjoint et sa fille, si elle n'est pas soutenue, ad vitam aeternam, et ce sans aucune réduction du montant initial. Mauvaise gouvernance, quand tu nous tiens...

 

 

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commentaires (6)

L'article suscite un débat intéressant. Je ne partage pas ce point de vue car il était indispensable d'augmenter certains salaires dont ceux des militaires et des enseignants. Et puis, on ne peut pas se plaindre indéfiniment de la corruption des fonctionnaires si on continue à les payer au lance-pierres. D'autres points sont sujets à controverse, comme le coût de cette mesure et l'effet des taxes et impôts qui l'accompagnent. Or M. Melki jette le bébé avec l'eau du bain. Corporatisme quand tu nous tiens!

Marionet

08 h 29, le 04 septembre 2017

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Commentaires (6)

  • L'article suscite un débat intéressant. Je ne partage pas ce point de vue car il était indispensable d'augmenter certains salaires dont ceux des militaires et des enseignants. Et puis, on ne peut pas se plaindre indéfiniment de la corruption des fonctionnaires si on continue à les payer au lance-pierres. D'autres points sont sujets à controverse, comme le coût de cette mesure et l'effet des taxes et impôts qui l'accompagnent. Or M. Melki jette le bébé avec l'eau du bain. Corporatisme quand tu nous tiens!

    Marionet

    08 h 29, le 04 septembre 2017

  • L'article de Roger Melki a le mérite d'éclairer sur certains points relatif à l'économie du Liban, (salariat du secteur public, le traitement des retraités et leurs conditions etc....) ce qui me frappe le plus et me choque, est le prix "faramineux" et incroyable de la location des "générateurs électriques flottants" de l'ordre de 1,8 milliards de dollars. Soit c'est un gag soit la plus grande supercherie du monde économique sur cette terre! (A ce tarif, le Liban au lieu de louer deux "machins électriques à des sociétés bidons...qui visiblement profitent d'une situation rocambolesque, en arnaquant mes concitoyens, il serait plus judicieux, qu'à ce prix, l'état puisse construire une gigantesque centrale électrique qui servira au moins les 40 prochaines années notre pays et d'une puissance 10 fois plus importantes ! Il suffit de regarder les prix pratiqués sur le marché mondial des centrales électriques, fabriquées par les italiens, les américains, les russes, les chinois, les suédois etc etc ...(surtout que les technologies sont diverses et toutes fiables, il suffit d'opter pour la technologie la plus adaptée au pays. Critiquer est plus facile que de gouverner certes ...mais il est de notre devoir d'apporter notre contribution ne serait-ce que par un débat citoyen dans une période critique de notre peuple. Bon courage à tout ceux qui gouvernent ce pays, que la sagesse, l'humilité et le sens de la responsabilité gagnent les cœurs

    Sarkis Serge Tateossian

    00 h 26, le 04 septembre 2017

  • A mon arrivée au Liban j'ai pensé que c'était un peu de laxisme légendaire du au Moyen Orient, mais hélas j'ai constaté que chaque fois que l'état devait faire un appel d'offres c'était un raté catastrophique (incompétences ou magouille ??? ). Mais ce coup ci c'est le summum de ce qu'il ne faut pas faire, on cumule en une seule opération toutes les conneries ce n'est plus par ou pour des intérêts mais c'est ce que l'on appelle de incompétence ou de l'amateurisme

    yves kerlidou

    10 h 52, le 03 septembre 2017

  • La preuve accablante, une fois de plus, que nos POLITIQUES-IRRESPONSABLES-INCAPABLES feraient mieux de rester chez eux, et de laisser leur place à des gens capables ! Il y en a chez nous, comme par exemple l'auteur de cet article. Réjouissons-nous de tous les problèmes qui vont apparaître d'ici peu. Et, surtout laissons tranquillement ces NULS de toutes catégories mener notre pauvre pays à sa ruine...et nous avec ! On pourra toujours pour faire diversion accuser: Israël, les USA, les Occidentaux, l'Arabie Séoudite, la Turquie et autres "ennemis du Liban" ! Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 02, le 03 septembre 2017

  • Improvisations à n'en plus finir! Quant au nouvel horaire du vendredi, on ne peut imaginer pire amateurisme: ils viennent d'ouvrir une boite de Pandore...

    Georges MELKI

    08 h 31, le 03 septembre 2017

  • Excellent et terrifiant. Merci quand même.

    M.E

    05 h 47, le 03 septembre 2017

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