Rechercher
Rechercher

La foire aux inepties (suite)

Monstrueuse hérésie constitutionnelle, la démocratie dite consensuelle n'a pas seulement fait de tout gouvernement un conglomérat voué aux compromis et compromissions, pour ne pas dire à la paralysie. Elle a, en revanche, fait des ministres d'ombrageux roitelets administrant souverainement, jalousement, leurs territoires, souvent rebelles au premier d'entre eux et ne reconnaissant d'autre autorité que celle de leur chef de parti ou de groupe.

Du moment qu'on n'arrête pas la chute libre, des abominations toujours plus incroyables n'ont cessé de s'ajouter à la triste dérive. On a vu ainsi une milice membre du gouvernement obéir aux injonctions d'un pays étranger, l'Iran, et s'en aller guerroyer en Syrie, en violation flagrante de la politique officielle de distanciation. Après s'être arrogé la décision de paix ou de guerre, c'est à la politique étrangère que s'attaquent maintenant le Hezbollah et ses alliés locaux. Ils n'ont compétence (et encore!) qu'en matière d'agriculture, de travaux publics et d'industrie ; et pourtant, c'est en véritables chefs de diplomatie que se comportent les trois ministres partis de leur propre chef à Damas pour y ouvrir tout seuls, comme des grands, une page nouvelle dans la belle histoire des relations libano-syriennes.

Invités à participer à la Foire internationale de Damas, tous trois s'obstinent ainsi à qualifier leur pèlerinage d'officiel, malgré les pathétiques protestations du chef du gouvernement. L'un exige, devant ses hôtes ravis, la réactivation du traité de la honte qui, naguère, livrait pieds et poings liés le Liban à son voisin baassiste. Un autre, visiblement adepte du mélange des genres, se dit mandaté dans sa noble mission par... le président de l'Assemblée nationale, promu de la sorte chef du pouvoir exécutif. Le troisième, quant à lui, pousse l'ironie jusqu'à l'injure en se promettant de rapporter en guise de souvenir, à Saad Hariri, des photos de Bachar el-Assad. Lui aussi invité à Damas, le ministre de l'Économie, membre du courant présidentiel, a eu le bon goût de se plier à l'interdit du chef du gouvernement : abstention cautionnée, non sans quelque ambiguïté toutefois, par le ministre des AE (le vrai !).


Comme si cela n'était pas encore assez pour installer la foire au sein du gouvernement, on a vu jeudi un ministre quitter en tempêtant les débats car on lui avait refusé une avance sur son budget. On a vu, de même, l'annulation d'un appel d'offres pour la location de générateurs flottants, assortie de la mise en chantier d'un nouveau cahier. Du coup, voilà repartie de plus belle la course aux commissions : l'enjeu de cette foire d'empoigne qui dure depuis des décennies n'étant autre que l'aptitude à mettre en service, et au prix fort, les plus asthmatiques des générateurs, avec leur nécessaire réserve de fuel frelaté.

Il n'y a pas que le gouvernement, cependant. Car elle est partout, la foire, au point de faire partie intégrante de notre manière de vivre. Elle est sur nos routes vierges de bon asphalte comme de surveillance policière; elle cohabite très harmonieusement avec la corruption dans les administrations publiques (la paire diabolique a même investi certains hôpitaux); et elle n'épargne guère ce machin à légiférer, tantôt poussif et tantôt expéditif, qu'est le Parlement deux fois auto-reconduit.

À peine votée une échelle des salaires qui demeure l'objet d'une vive polémique, c'est notamment de questions sociales que s'est souciée l'Assemblée. Elle a rendu justice à nos amies les bêtes, désormais protégées contre les mauvais traitements. Mais elle n'a fait les choses qu'à moitié en ce qui concerne le statut de la femme. On s'est contenté en effet d'abroger un article particulièrement infamant du code pénal ; et on a laissé pratiquement en l'état la condition des adolescentes violées puis épousées à titre de compensation.

Majeur est l'affront asséné aux mineures du Liban ; vit-on donc encore au Moyen Âge, place de l'Étoile ?

 

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

 

Pour mémoire
La foire aux inepties

Monstrueuse hérésie constitutionnelle, la démocratie dite consensuelle n'a pas seulement fait de tout gouvernement un conglomérat voué aux compromis et compromissions, pour ne pas dire à la paralysie. Elle a, en revanche, fait des ministres d'ombrageux roitelets administrant souverainement, jalousement, leurs territoires, souvent rebelles au premier d'entre eux et ne reconnaissant d'autre...