Depuis qu'il a pris sa retraite, en 2012, Issam Khalifé se lève tous les matins à 3h, lis jusqu'à 5h, puis part travailler la terre ou arroser ses plantes à Hadtoun, son village natal du caza de Batroun. « Je me fais un point d'honneur de cultiver la terre car aujourd'hui la jeunesse la laisse tomber, explique cet ancien professeur universitaire, détenteur d'un doctorat en histoire, et ancien leader du mouvement estudiantin à la fin des années 60 et au début des années 70. Dans le village, quand on voit que l'intellectuel s'intéresse à l'agriculture, on se dit que ça doit être important, souligne-t-il. Je veux donner l'exemple aux jeunes pour qu'ils prennent soin de la terre de leurs ancêtres. »
« Encourager la culture et l'agriculture », tel est le slogan de Issam Khalifé, qui passe son temps à « semer des idées et des recherches, mais aussi des concombres et des tomates », pour reprendre ses propres termes. « Mon père était paysan et poète à la fois. Dans ma jeunesse, j'ai travaillé la terre et j'ai fait des études en même temps. Oui, je m'intéresse à l'agriculture, aux fruits et légumes, et ce n'est nullement en contradiction avec l'intellect », souligne M. Khalifé.
Ce fervent militant de « la laïcisation de l'État, de la société et de l'éducation » continue, cinq ans après sa retraite, à publier des études dans le domaine de l'histoire et à soutenir les revendications syndicalistes des enseignants et des étudiants. Il compte aujourd'hui 86 publications en histoire à son actif.
À la tête des batailles de l'UL
C'est en 1966, lorsqu'il s'inscrit en première année d'histoire à l'UL, que Issam Khalifé commence un long parcours du combattant marqué par un contexte politique local et régional bien chargé. La défaite des Arabes face à Israël, lors de la guerre des Six-Jours, en juin 1967, le pousse alors à se poser beaucoup de questions.
Puis c'est l'engagement des fedayine dans le Sud du Liban qui fait parler de lui. « En tant qu'étudiants, nous étions de ceux qui insistaient sur l'importance de la souveraineté de l'État et voulaient faire face en même temps au danger israélien. Certains voulaient donner aux Palestiniens la liberté absolue, ce à quoi nous étions opposés », souligne Issam Khalifé. À cette époque, l'UL est en ébullition du fait de la montée des revendications estudiantines. « Durant cette période, nous menions chaque année une bataille. Nous avons lutté pour changer le règlement interne de l'université et même pour que nos enseignants soient cadrés », se souvient-il.
M. Khalifé est élu durant l'année universitaire 67-68 secrétaire général de la Ligue des étudiants de l'UL, puis président de cette ligue l'année suivante. C'est alors qu'il crée, en 1968, avec un groupe d'étudiants, le Mouvement de l'éveil (Harakat al-Wahi), un mouvement social et politique – qui serait qualifié aujourd'hui de « centriste » – œuvrant pour la justice et la « démocratie de l'enseignement » (dans l'optique de l'accès de tous à l'enseignement). « La gauche nous considérait comme une droite intelligente et la droite pensait qu'on entraînait les étudiants vers la gauche, indique Issam Khalifé. Nous appartenions plutôt au centre gauche, précise-t-il. Nous nous battions pour l'UL, pour le renouvellement de ses bâtiments ou pour la mise en place de bourses nationales. Lorsque nous organisions une manifestation, le gouvernement avait peur de nous. Nous étions capables de fermer la place des Martyrs (le Bourj) ou d'encercler le Parlement. »
Résistance académique et culturelle
Lorsque la guerre éclate en 1975, le Mouvement de l'éveil s'y oppose et critique aussi bien la gauche, qui s'était alliée avec les Palestiniens et les Syriens, que les partis chrétiens, qui s'étaient armés. « Nous avons essayé de mettre en place une troisième voie que nous avons appelée Jabhat Loubnan al-Wahed lil Taghyir (Front du Liban uni pour le changement). Nous nous sommes alliés à l'époque avec le Parti démocrate » (fondé par Émile Bitar, Joseph Mougheizel, Bassem Jisr, Sami Nassar, etc.), indique-t-il.
Sauf que Khalifé et ses compagnons du Mouvement de l'éveil se sont heurtés « à l'impossibilité de stopper la violence confessionnelle qui était en train d'augmenter ». Issam Khalifé est alors menacé à cause de son engagement et décide de partir en France en 1977 où il s'inscrit à la Sorbonne pour préparer une thèse en histoire.
Lorsqu'il rentre au Liban en 1980, il se heurte au refus de la direction de l'UL de l'engager comme professeur à Beyrouth, lui qui avait lutté sans relâche pour cette université. « J'avais fait l'objet d'un veto de la part des Kataëb parce que je n'étais pas de leur côté. Or je n'étais ni avec eux ni contre eux, j'étais indépendant », souligne-t-il. Khalifé réussit finalement à se faire embaucher par le directeur de la faculté des lettres et des sciences humaines à l'UL de Zahlé, Michel Assi, pour l'année universitaire 1980-1981 comme enseignant au département d'histoire. Débute alors une longue carrière au cours de laquelle il sera élu délégué académique et syndical puis président de la Ligue des professeurs.
Issam Khalifé a commencé à écrire dans les années 80 et a publié son premier ouvrage en 1985, sur les conflits liés à la frontière sud du Liban. Ses deux derniers livres portent sur la famine au Liban durant la 1re Guerre mondiale ainsi que sur les archives ottomanes sur le Kesrouan, au XVIe siècle. Pour ce dernier livre, il a directement puisé ses informations dans les archives du ministère turc des Affaires étrangères, après avoir réussi à convaincre le directeur général du ministère d'ouvrir ses archives aux Arabes. Et comme Issam Khalifé a toujours un projet en gestation, il prépare pour novembre prochain une conférence sur les cent ans de la déclaration de Balfour.
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16 h 46, le 16 octobre 2017