Pour la première fois dans l'histoire de ce pays, deux ministres ont été simultanément en charge d'un seul et même portefeuille, celui de la Culture. Le public, les journalistes et les acteurs du milieu culturel avaient l'embarras du choix. Ils appréciaient les deux à parts égales. Pour plaire à tout ce monde, parfois, c'était Rony Araïji qui assistait aux événements, présidait les réunions ou signait les papiers. D'autres fois, c'était Raymond Araïji qui arrivait, le sourire aux lèvres et les joues teintées de rose. Lors d'un même événement culturel, il arrive qu'au cours d'un même discours, on remercie Rony Araïji pour sa présence, avant ensuite d'inviter Raymond Araïji à se rendre sur l'estrade pour prononcer son mot.
Qui êtes-vous ? « Je suis les deux à la fois, mais j'avoue que je m'identifie plus à Rony qu'à Raymond », confie à L'Orient-Le Jour l'ancien ministre de la Culture. À sa naissance, le choix du prénom était d'une grande évidence. Ses parents lui ont donné le prénom de son grand-père paternel : Raymond. Une semaine après, sa maman l'appelait déjà Rony. Sur une photo de lui, encore tout petit, son grand-père avait tracé, de sa belle écriture, quatre lettres et pas une de plus. « C'est ainsi qu'il avait donné sa bénédiction et que je suis devenu Rony », raconte M. Araïji.
Un ministère régalien, ou presque
« Comme toute autre chose dans la vie, il faut éprouver de l'amour, et l'éprouver abondamment », répond notre interlocuteur lorsqu'il est prié de livrer la recette secrète de sa réussite au sein du ministère de la Culture. « Des secrets, il n'y en a point », dit-il. « À la base, j'ai été élevé dans un milieu qui privilégie la culture. Même au niveau de l'expérience, j'ai été bien préparé à la gestion d'un ministère grâce à mon travail de conseiller auprès de Sleiman Frangié, chef des Marada et plusieurs fois ministre », ajoute-t-il.
« Je me suis donné à fond », affirme l'ancien ministre de la Culture. Le ministère souffrait de carences à tous les niveaux, notamment en ce qui concerne le faible budget qui lui était consacré. Rony Araïji devait alors compenser cette carence par sa présence physique, tellement riche et chaleureuse que le public avait l'impression qu'il avait affaire à un ministère régalien.
« Pendant près de trois ans, j'ai assisté à divers événements dans plusieurs régions du pays, en dehors de la capitale. Je m'y rendais en personne exprès, pour rappeler à ces régions qu'elles ne sont pas oubliées du paysage culturel libanais », explique-t-il. Au niveau administratif, Rony Araïji a été à l'initiative d'un nombre de lois et de décrets aujourd'hui en vigueur. Aujourd'hui, et demain encore, s'il faut tout reprendre, il aurait la même réaction que lorsqu'il a appris sa désignation à la tête du ministère de la Culture : une satisfaction et un enthousiasme sans égal. « Cette réussite n'a pas été le fruit d'un travail en solo », tient à préciser l'ancien ministre, soucieux de rendre hommage à tous ceux qui l'ont soutenu. « Que ce soit l'équipe du ministère composée de fonctionnaires, de conseillers et de volontaires, ou ma famille et mes amis qui sont allés jusqu'à régler leurs horaires en fonction des miens, ou encore les médias, je leur dois à tous des remerciements du fond du cœur », affirme M. Araïji.
Jamais Rony sans Sleiman...
Entre Rony Araïji et Sleiman Frangié, ce ne sont pas uniquement les valeurs et les principes en politique qui maintiennent à vie ce lien étroit qui caractérise leur relation. C'est plutôt la douceur de l'enfance, l'amitié entre les parents et un lien de parenté entre les deux mamans, cousines au second degré, qui ont façonné cette relation claire et limpide de confiance mutuelle. « Nous avons le même âge, nous avons grandi ensemble et il n'y a pas une étape de ma vie dans laquelle Sleiman n'était pas présent », raconte l'ancien ministre.
Au sein des Marada, Rony Araïji a gravi les échelons, tout comme les autres cadres du courant, tel l'ancien ministre Youssef Saadé. Du département des jeunes jusqu'au bureau politique dont il est membre depuis de longues années, « je n'ai bénéficié d'aucun privilège en raison de mon amitié avec le président du mouvement », souligne-t-il.
De tous les cadres des Marada, l'ancien ministre de la Culture est décidément la figure la plus ouverte. « Je ne sais pas d'où me vient cette sérénité ; je dirais qu'il s'agit d'un style diplomatique et d'une approche dépourvue d'agressivité qui mettent à l'aise ceux qui sont en face de moi », s'efforce-t-il d'expliquer. M. Araïji confie avoir un tempérament assez calme, mais qui n'affecte en rien « ses principes, ses valeurs politiques et la solidité de ses propos ».
Le Zghortiote épris d'Ehden
Les vacances, les beaux jours, la tendre enfance, mais aussi et surtout les racines, la fierté et une longue histoire... Comme tous les Zghortiotes, Rony Araïji entretient une relation intense et exceptionnelle avec Ehden. « Nous sommes tous très fiers d'être Zghortiotes, mais le fusionnel va sans doute vers Ehden », affirme-t-il. « En hiver comme en été, je ne peux pas me passer de cette montagne qui est la nôtre », ajoute-t-il.
Cette fascination pour Ehden n'est pas exclusive. L'ancien ministre de la Culture voue une admiration forte et sans égale à Fayrouz, à toute la « construction » des Rahbani et à tous les artistes qui gravitaient autour d'eux, notamment Philémon Wehbé, Nasri Chamseddine et Saïd Akl, entre autres. Laquelle préférez-vous, Fayrouz au temps de Assi et de Mansour, ou de Ziad ? Rony Araïji hésite avant de répondre : « Je suis plutôt classique, mon goût en musique n'a pas vraiment évolué. »
« J'ai eu l'honneur et le plaisir de lui rendre visite, de passer près de deux heures à discuter avec elle, ouvertement », dit-il, avant de poursuivre : « Elle est gentille, souriante et dotée d'un sens de l'humour assez prononcé. » Vers la fin de la rencontre du ministre et de sa famille avec Fayrouz, ses deux filles se sont tournées vers la dame pour lui dire : « Nous n'avons jamais vu papa dans un pareil état de grâce devant une personne. »
Contrairement à l'écrasante majorité des Libanais, Rony Araïji préfère écouter Fayrouz le soir ou en faisant de longs trajets en voiture. « J'ai même été initié, grâce à Henri Zogheib, à la lecture, sans musique, des poèmes chantés par Fayrouz », raconte-t-il, invitant tous les amoureux des Rahbani à se lancer dans cette expérience envoûtante. L'ancien ministre de la Culture est, pour le moins, un personnage qui inspire la tranquillité et cette espèce d'harmonie entre douceur et solidité qui caractérise son village natal. Vous pouvez aisément imaginer Rony Araïji, derrière son volant, faisant le long trajet de Beyrouth à Ehden, écoutant en boucle Men ezz el-nawm et Ya rayeh aa Kfarhala, ses chansons préférées de Fayrouz.
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Très joli portrait de cet excellent ministre, sachant allier deux autres aux qualités que vous mentionnez : une modestie non feinte et une parfaite francophonie.
06 h 50, le 07 août 2017