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Paradoxes guerriers

Les années de guerre ont beau se succéder, on n'a pas fini de parler d'imbroglio de Syrie. Le terme s'est d'abord imposé en raison de la vertigineuse variété des protagonistes qui s'affrontaient sur le terrain : armée syrienne et ses forces parallèles, militaires déserteurs, opposition démocratique, groupes islamistes souvent rivaux, miliciens iraniens flanqués de leurs alliés libanais, autonomistes kurdes, et on en oublie...
La cohue n'a cessé de croître d'ailleurs, avec la coalition internationale menée dans les airs par les États-Unis, puis l'irruption déterminante de la Russie. Et la confusion est naturellement allée de pair.

Impénétrables sont ainsi les desseins réels de toutes ces puissances qui clament pourtant, à l'unisson, leur volonté de pacifier et réunifier la Syrie. Et si les parrains, protecteurs et financiers des groupes islamistes sont connus, il reste souvent difficile de savoir pour qui roulent exactement, objectivement, ces hordes de jihadistes. Bien dense est en effet l'écheveau des manipulations occultes : les moins visibles, bien que les plus plausibles, étant le fait d'Israël, qui regarde tranquillement se décomposer son environnement arabe.


Même dans ses rêves les plus fous, le Liban désuni, errant à travers ses institutions en panne, ne pouvait espérer échapper totalement aux effets du brasier faisant rage à ses portes. Parce qu'il y a décidément un dieu pour les ivrognes, la guerre lui a été épargnée, même s'il a enduré maints et sanglants attentats terroristes et s'est trouvé littéralement inondé sous un flot de réfugiés. Mais en revanche, il a eu plus que son lot de graves bizarreries, d'incohérences, de paradoxes que l'actuelle bataille à la frontière orientale fait ressurgir dramatiquement à la surface.


Comme de règle, c'est en étroite coordination avec le régime de Damas que le Hezbollah a lancé son offensive contre les hommes de l'État islamique et d'al-Nosra campant en territoire syrien, à proximité de nos lignes. Mais c'est aussi en parfaite harmonie avec l'armée libanaise que se déroule cette opération, la troupe assurant pour sa part la protection de la localité de Ersal. C'est donc à une synchronisation triangulaire que l'on a objectivement affaire, une synchronisation qui omet de dire son nom, ce qui évite tout embarras au gouvernement.


Mieux encore, c'est un peu tout le monde qui se retrouve, pour la circonstance, du même côté de la barrière, ce qui, assez étrangement, ne soulève aucune sorte d'objection de la part des États-Unis. Ceux-ci tiennent pourtant la milice chiite Hezbollah pour une organisation terroriste et affûtent même, en ce moment, un train de sanctions financières particulièrement sévères visant celle-ci ; recevant hier Saad Hariri, Donald Trump est même allé jusqu'à mettre dans le même sac le Hezbollah, l'État islamique et al-Qaëda.


Quoi qu'il en soit, on peut s'interroger sur les objectifs véritables de cette bataille largement annoncée et sur ses retombées politiques locales. Déjà, le Hezbollah se pose en héroïque défenseur du territoire national. Si elle n'en est pas encore à revendiquer, comme en 2006, une victoire divine, la milice entend bien mettre à profit la dernière en date de ses initiatives militaires pour bétonner sa place sur l'échiquier politique local, et accuse de collusion avec les terroristes quiconque irait contester le bien-fondé de son offensive.


C'est un fait que pour les sceptiques, celle-ci répond moins à des urgences libanaises qu'aux impératifs stratégiques du camp syro-iranien œuvrant à la mise en forme de ce qu'il est convenu de désigner comme la Syrie utile. Dans un pays en situation de partition de facto, il s'agit là, comme on sait, d'une bande territoriale jouxtant le Liban et qui, en même temps que les ports sur la Mediterranée, engloberait, sous l'égide de Bachar el-Assad, l'essentiel de la population et de l'économie du pays.
Voilà ce qui s'appelle joindre l'utile au désagréable.

 


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Les années de guerre ont beau se succéder, on n'a pas fini de parler d'imbroglio de Syrie. Le terme s'est d'abord imposé en raison de la vertigineuse variété des protagonistes qui s'affrontaient sur le terrain : armée syrienne et ses forces parallèles, militaires déserteurs, opposition démocratique, groupes islamistes souvent rivaux, miliciens iraniens flanqués de leurs alliés...