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Moyen Orient et Monde - Reportage

Les 12 yazidis et la colère kurde

En mai, des centaines de jeunes yazidis se sont engagés dans des unités paramilitaires chiites pour participer à la reprise des derniers villages au sud du Sinjar. Désormais, leurs familles, restées dans les camps au Kurdistan d'Irak, sont menacées par la police politique kurde et doivent fuir.

Août 2014 : des milliers de yazidis fuient leurs villages vers le mont Sinjar. Rodi Said/Reuters

« Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années. » Cette citation du Cid va comme un gant à Mourad (le prénom a été modifié). Il n'a pas 20 ans, et depuis 2014, il a été de tous les fronts pour combattre l'État islamique et défendre son peuple, les yazidis. Il reçoit dans la bicoque en parpaing où s'est réfugiée sa famille. Ses copains d'enfance l'écoutent dérouler ses exploits, des étoiles dans les yeux.

Il y a quelques semaines, il a aidé à la reconquête de son propre village, Tel Banat, au sud-est de la montagne du Sinjar (nord-ouest de l'Irak), l'un des derniers encore aux mains de l'EI. Il fait partie d'une bande de douze frères d'armes qui ont traversé la moitié de l'Irak et rejoint les unités paramilitaires majoritairement chiites enrôlées par Bagdad, les Forces de mobilisation populaire (FMP, ou al-Hachd al-chaabi en arabe). Ils ne sont qu'un exemple parmi des centaines de jeunes yazidis qui ont rejoint les FMP ces derniers mois.

En 2014, Mourad est encore lycéen. Alors qu'il n'est qu'un bambin, son père est assassiné à Mossoul ; il est élevé par sa mère, aux côtés de ses deux frères et de sa sœur. « Je rêvais de devenir officier dans l'armée », se rappelle-t-il. Tel Banat était peuplé d'environ 1 000 familles, dont 70 % de yazidis, 30 % de chiites. Ce « village collectif », comme on appelle les petits bourgs au pied de la montagne où les yazidis avaient été regroupés par le régime de Saddam Hussein, est cerné de hameaux arabes qui tombent aux mains de Daech dès juin 2014.

Les habitants de Tel Banat se croient cependant en sécurité : plusieurs milliers de peshmergas, les soldats du Kurdistan d'Irak, occupaient la région depuis 2007. À Tel Banat, des milices yazidies, armées de vieux fusils et de kalachnikovs, tenaient la garde sur la première ligne de front.
« La nuit du 2 août, je tenais la garde sur la frontière, se souvient Mourad. Ils ont lancé l'assaut à 2 heures du matin. Ils ont d'abord tiré au mortier depuis les villages arabes, puis ils sont venus avec des véhicules blindés, des "Humvee" pris à l'armée irakienne. » Les hommes de Tel Banat tiennent quelques heures puis une pluie de roquettes s'abat ; il faut alors se replier. « Ce que nous ne savions pas, c'est que les peshmergas, à l'arrière, avaient fui. À sept heures du matin, le 3 août, nous sommes rentrés au village. Toutes les familles étaient parties ! » Grâce à sa garde locale, qui a donné le temps aux civils de fuir, Tel Banat est un miraculé par rapport à d'autres villages beaucoup plus meurtris. Seules deux familles du clan de Mourad n'ont pas le temps de s'enfuir et sont kidnappées par Daech.

Son arme en bandoulière, Mourad emmène sa famille au sommet de la montagne, où ils tiennent une semaine : « Nous nous sommes arrêtés au temple de Piree Aura pour boire à sa source. Nous chassions des animaux. J'ai vu des vieillards mourir de soif. » Ils décident alors de redescendre par le versant et de rejoindre le Kurdistan irakien. Là, il laisse sa mère et ses frères et sœurs qui s'installent dans un camp, et il repart au mont Sinjar. « Je suis retourné au temple de Sharfadine pour me battre », explique-t-il. Là, deux chefs tribaux, Qassem Shesho et son neveu Haïdar, avaient fait le serment de protéger ce lieu saint, le plus important de la montagne du Sinjar, de l'emprise de Daech. « J'ai suivi Haïdar parce qu'il était celui qui combattait vraiment, alors que Qassem restait assis à ne rien faire... » Sharfadine tient bon. Mourad suit la troupe de Haïdar jusqu'en novembre 2015, quand la ville de Sinjar est entièrement libérée.
Peu après, les hommes de Haïdar Shesho sont mis en garnison près de Sharfadine. La ligne de front ne bouge plus pendant un an et demi. Et Tel Banat, le village de Mourad, pourtant visible depuis les versants de la montagne, reste sous le contrôle de Daech. Mourad n'en peut plus et trépigne d'impatience.

 

(Lire aussi : Les enjeux post-EI à Mossoul)

 

Les combats sont féroces
« J'ai fini par quitter Haïdar au printemps 2017, raconte-t-il. Je voulais rejoindre ceux qui continuaient le combat. » Entre-temps, d'autres yazidis avaient formé le bataillon de Lalish, du nom du plus grand lieu saint yazidi, au Kurdistan d'Irak, entre Erbil et Dohouk. Ils combattent aux côtés des grandes formations paramilitaires chiites des Hachd al-chaabi. « Ils nous ont appelés un jour et nous ont dit qu'ils allaient reprendre nos villages, confie Mourad. Nous étions douze amis. Nous nous sommes réunis et nous avons décidé de partir ensemble. Nous avons rappelé notre ami du bataillon de Lalish et il a tout organisé. Nous sommes allés à Bagdad, et là, nous avons pris un bus des FMP. »

Mourad ne dit rien à sa famille : « Ils m'en auraient empêché. Mais quand vous voyez ce qu'ils nous ont fait, le génocide, vous n'avez pas le choix. Ça m'a motivé. » Deux des douze sont des miraculés : en 2014, ils avaient survécu alors que Daech avaient tenté de les exécuter. « Nous voulions nous venger. Nous voulions tuer ceux qui avaient tué les nôtres. Tuer les hommes de l'EI, pas les civils. »

Plutôt que de rejoindre une unité yazidie comme le bataillon de Lalish, Mourad et ses amis s'enrôlent dans les Brigades de l'Imam Ali, une unité chiite pro-iranienne, qui se vante dans de nombreuses vidéos d'exactions à l'égard de ses prisonniers et de civils sunnites. Mourad fait défiler les photos de lui et de ses compagnons juchés sur une jeep équipée d'un lance-roquettes multiples. Son but, combattre, à tout prix : « Les Brigades Imam Ali avaient un meilleur équipement, des armes lourdes, des munitions. » Le 12 mai, les Hachd lancent leur opération pour libérer les derniers villages yazidis. Premier objectif : Tel Banat. Les combats sont féroces, Daech se défend encore en envoyant des voitures piégées contre l'assaillant. Une fois toute résistance écrasée, Mourad ne peut cependant goûter au triomphe tant attendu : « Tout était complètement détruit. Tu vas devant ta maison et tu ne peux même pas entrer parce qu'elle est piégée. J'ai attendu qu'elle soit déminée puis j'y suis retourné. Ils ont tout pris, même les portes et les fenêtres. Ils n'ont pas laissé une petite cuillère. »

 

(Lire aussi : Contre l’EI, des victoires à la Pyrrhus)

 

 

Les combats continuent au fil des libérations des derniers villages yazidis tenus par Daech, révélant dans chacun des charniers et autres stigmates du génocide. Les douze ont tous survécu, un seul a légèrement été blessé à la tête. Quand les FMP atteignent finalement la frontière syrienne et complètent leur mission, Mourad décide de rentrer chez lui. « Je ne me sens pas vengé, ils ont tué tant des nôtres, nous ne pourrons jamais en faire autant, conclut-il. Maintenant je suis triste, le Sinjar est divisé en trois parties, comme trois pays différents. »

En effet, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK, le parti du clan de Massoud Barzani, qui domine le Kurdistan d'Irak) contrôle le Nord-Est, le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, mouvement révolutionnaire originaire de Turquie) contrôle l'Ouest, et les FMP le Sud. Qui plus est, les familles des volontaires qui ont rejoint les FMP, installées depuis 2014 dans des camps au Kurdistan d'Irak, sont désormais menacées par les « assayich », la police politique kurde.

Le 9 juillet, un rapport de Human Rights Watch révèle que les autorités kurdes ont intimé à des dizaines de familles yazidies de quitter leur refuge et de retourner au Sinjar parce que des membres de leurs familles avaient rejoint les FMP chiites. Mais les conditions de vie dans la montagne restent terribles, alors qu'aucun service de base n'a été rétabli, même dans les parties libérées depuis plusieurs années. Mourad se cache, sachant que son temps au Kurdistan est compté. Pour l'instant, les assayich ne l'ont pas repéré. « Mais quand je ne me sentirai plus en sécurité ici, nous devrons partir. »

 

 

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« Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années. » Cette citation du Cid va comme un gant à Mourad (le prénom a été modifié). Il n'a pas 20 ans, et depuis 2014, il a été de tous les fronts pour combattre l'État islamique et défendre son peuple, les yazidis. Il reçoit dans la bicoque en parpaing où s'est réfugiée sa famille....

commentaires (2)

les kurdes ont laissés les yézidis et les chrétiens à l'avancé de daesh ils veulent leur pays et le reste ne les interressent pas il faut pas oublier que les kurdes sont complices des turcs pour le génocide des arméniens et des chrétiens

Talaat Dominique

18 h 04, le 12 juillet 2017

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Commentaires (2)

  • les kurdes ont laissés les yézidis et les chrétiens à l'avancé de daesh ils veulent leur pays et le reste ne les interressent pas il faut pas oublier que les kurdes sont complices des turcs pour le génocide des arméniens et des chrétiens

    Talaat Dominique

    18 h 04, le 12 juillet 2017

  • LES SUNNITES GRACE A L,E.I. ET AUTRES ORGANISATIONS FANATIQUES DU GENRE SE SONT TAILLES UNE REPUTATION BIEN MAUVAISE DANS LA REGION...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 58, le 12 juillet 2017

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