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Liban - Ordre

Le plaidoyer de Jad Tabet « pour un changement par la base... »

Le président de l'ordre des ingénieurs a donné une conférence à l'initiative du Renouveau démocratique.

À la tribune, de gauche à droite : l’ingénieur Michel Akl, le président de l’ordre des ingénieurs, Jad Tabet, et l’urbaniste Serge Yazigi.

Le président de l'ordre des ingénieurs, Jad Tabet, élu en avril dernier face aux partis traditionnels, est devenu l'archétype de l'indépendant capable de déverrouiller le système clientéliste de gouvernance. Son élection a alimenté en soi l'expectative de réformes structurelles au niveau de l'ordre, qui ne seraient pas sans influencer, à l'échelle du pays, la gestion des politiques publiques... ou, du moins, leur approche.
Convié par le Renouveau démocratique (RD) – qui avait ouvertement soutenu sa candidature – M. Tabet, un compagnon de feu l'architecte-urbaniste Assem Salam, défend une approche participative et patiente du changement. « Je ne suis pas adepte des méthodes subversives ou radicales », dit-il lors du débat avec l'assistance, modéré par l'ingénieur Michel Akl et l'urbaniste Serge Yazigi, membre du comité exécutif du RD.

Afin d'expliquer son approche, Jad Tabet établit d'entrée la corrélation entre le système politique et les mécanismes internes de l'ordre des ingénieurs. « Celui-ci – et cela vaut aussi pour son président – s'est réduit à être un fournisseur de services individuels aux ingénieurs, rattrapés par le chômage et la précarité de vie, au prix de son efficacité en tant qu'instance professionnelle moderne », souligne-t-il. « Et qui dit services, dit ingérences et rivalités des partis politiques au sein de l'ordre, qui finissent par inhiber sa capacité à se constituer en association civile autonome, fidèle aux principes de la planification, de la productivité et de la transparence, et capable d'assumer par ailleurs un engagement national », ajoute-t-il.

 

(Pour mémoire : L'indépendant Jad Tabet à la tête de l'ordre des ingénieurs et architectes de Beyrouth)

 

Innovation
En 70 jours, Jad Tabet a réussi à repenser les contours de cet engagement, en innovant un mécanisme de potentialisation des ingénieurs à cette fin. Cette innovation porte le nom de comité scientifique de l'ordre, ouvert aux intéressés, qui a pour fonction « d'apporter des solutions » à des questions d'intérêt public liées à son terrain d'expertise. « Quatre points ont été retenus sur l'agenda de l'année : proposer des solutions à la crise des déchets, élaborer un plan global de transports publics, proposer des moyens de protéger les plages des empiétements et suggérer une vision rationnelle de l'élargissement des villes au Liban », explique M. Tabet, décrit par Serge Yazigi comme « l'un des premiers ingénieurs au Liban à se spécialiser en urbanisme et à porter, dans ses ouvrages de référence, un regard critique et audacieux sur l'aménagement urbain au Liban ».

À une ingénieure qui lui avance l'idée d'organiser un sit-in au niveau des décharges problématiques, comme à Bourj Hammoud, Jad Tabet rejette l'idée de sit-in aléatoires. Le vrai travail commence ailleurs, « au niveau de la base et vers le haut », n'a-t-il de cesse de répéter, comme s'il implorait presque les ingénieurs à se faire acteurs du changement, au lieu de fonder leurs attentes sur sa personne. Ainsi, une conférence est organisée demain au siège de l'ordre pour commenter l'abaissement des droits sur les propriétés bâties prévu dans le projet de budget. « C'est le fruit des efforts d'un groupe d'ingénieurs qui se sont rendus à mon bureau pour me faire part de leurs remarques sur une question que je n'avais pas en tête », dit-il.
Et de soutenir son approche participative par un rappel de l'historique de l'ordre des ingénieurs, créé en 1951.

Sa vocation à influencer les politiques publiques n'a pas toujours été perçue comme impérative, au même titre qu'elle l'était pour les avocats et journalistes. L'Association libanaise pour les ingénieurs, ancêtre de l'ordre des ingénieurs, regroupait en 1934 « une élite souhaitant mettre au point l'exercice de cette profession, sans se soucier outre mesure de son rôle potentiel dans la vie publique ». Le corporatisme a bouleversé cette perception et les ordres ont émergé en tant qu'instances professionnelles assumant des responsabilités nationales. « Contrairement aux syndicats ouvriers qui sont liés par des intérêts socio-économiques communs, les ordres se composent de membres ayant des intérêts économiques parfois divergents, mais une perception homogène du rôle de la profession et de ses responsabilités au niveau de la vie sociale, économique et culturelle », insiste Jad Tabet.

 

Historique de l'engagement
Au Liban, ce sens de la responsabilité s'est aiguisé, surtout chez les ingénieurs, sous le mandat chéhabiste, grâce à « la mise au point d'une politique de développement complète basée sur la planification », rappelle-t-il.

Cette dernière n'a jamais été mise en œuvre, et la période postguerre civile a vu « le règne du chaos des constructions » et ses conséquences désastreuses sur l'environnement, le patrimoine et l'infrastructure. Et de constater que « près d'un quart de siècle après la fin de la guerre, la méthode adoptée par les gouvernements successifs – tous – s'est avérée être la cause des problèmes subis aujourd'hui par les citoyens ».

Le défi est donc triple pour Jad Tabet : mettre de l'ordre aussi bien au sein de la profession des ingénieurs qu'au niveau des politiques publiques qui la dirigent, afin de lui rendre, au final, son autorité morale dans la définition de ces politiques.

 

La révolution écologique
Pour y répondre, il appelle d'abord les ingénieurs à élaborer une « politique de développement durable qui forge la nouvelle ère écologique, celle-ci étant comparable, dans son ampleur et ses effets, à la révolution industrielle ».
Ils y auraient beaucoup à gagner d'ailleurs, l'adoption de cette politique étant « l'une des condition de résolution du chômage au niveau de leur profession », estime-t-il. Cette stratégie pourrait servir en outre de vecteur à une réforme administrative au sein de l'ordre, qui faciliterait par exemple le dépassement du « système de quota » (la part de superficie annuelle que l'ingénieur est en droit de construire, cette pratique étant sujette à des abus, comme la sous-traitance entre ingénieurs).

Elle pourrait plus largement sous-tendre une réforme globale des textes (le code de construction, plans directeurs, décisions administratives...) relatifs à la construction et la délivrance des permis, de sorte à garantir la mise en œuvre du plan global de réagencement des terrains libanais approuvé en 2009, mais peu respecté par les décisions administratives.

Jad Tabet déplore en outre, à l'instar de ses pairs, l'archaïsme du code de construction, en pointant par exemple « l'aberration d'imposer les mêmes normes de construction à toutes les régions, et cela par-delà la question du respect effectif de ces normes ». « Les lois doivent respecter l'identité de l'espace (...). Or tous les amendements de la loi ont servi les intérêts des commerçants de la construction (...) selon la même logique qui consiste à faire de la construction d'un terrain la règle, et non l'exception », affirme-t-il, en concluant sur le même appel aux ingénieurs à prendre l'initiative : « Que le président de l'ordre soit membre du conseil supérieur de la planification urbaine est bon mais insuffisant. » Il le dit humblement, sachant qu'il a d'ores et déjà été sollicité pour soumettre au président de la République un rapport sur la construction controversée du centre balnéaire Eden Rock à Ramlet el-Baïda.

 

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