Pour protester contre ce qu'il a qualifié d'« interférence du ministre de la Justice, Salim Jreissati, dans le pouvoir judiciaire », Antoine Toubia, avocat de Tarek Yatim, le prévenu dans l'affaire du meurtre de Georges Rif, s'est retiré hier de l'audience consacrée au procès de son client, poussant la cour criminelle de Beyrouth à reporter la séance au 4 juillet.
« En signe de protestation contre l'intervention de M. Jreissati, qui a eu lieu au vu et au su des médias, je me retire de l'audience », a martelé M. Toubia, soulignant qu'il ne se présentera à aucune autre audience « avant que le ministre de la Justice s'engage à ne plus s'immiscer dans le cours de la justice ».
Devant la détermination de l'avocat à ne pas prononcer sa plaidoirie, la cour, formée de son président, Hani Abdel Menhem Hajjar, et d'Albert Kouyoumji et de Imad Saïd (assesseurs), ainsi que du magistrat du parquet, Kamal Abou Jaoudé, a fixé la prochaine audience au 4 juillet.
La séance avait débuté par la demande du procureur général de faire appliquer la loi contre l'accusé, et s'est poursuivie par des plaidoiries de Ziad Haïdar et de Paul Hanna, avocats de Georges Rif, qui ont demandé l'application de la peine de mort dans cette affaire.
Tarek Yatim, qui a poignardé à mort Georges Rif dans une impasse de Gemmayzé, en juillet 2015, pour une question de priorité de passage, était accompagné de son amie, Lina Haïdar, également mise en cause.
Face à ce qu'elle considère comme « des lenteurs et des atermoiements » au niveau de la procédure judiciaire, la famille de Georges Rif s'était rendue le mois dernier auprès de M. Jreissati pour lui demander d'intervenir afin de remédier à ces « failles ». Le ministre de la Justice avait alors pris contact au téléphone avec le président de la cour pour s'enquérir de la marche du procès. La scène avait été filmée par une télévision locale. L'affaire a d'ailleurs déplu au président du Conseil supérieur de la magistrature, Jean Fahd, qui, dans un communiqué publié le 21 mai, a fait valoir que toute plainte à l'encontre de la prestation d'un tribunal relève du seul service de l'Inspection judiciaire.
Prié de commenter le retrait de M. Toubia de l'audience, un magistrat haut placé, qui a requis l'anonymat, relève qu'il ne risque pas de compromettre le déroulement du procès. Le juge estime que si un avocat veut protester contre la manière dont se déroule un procès, il devra user d'un autre moyen, soulignant que « cette attitude n'est pas conforme au devoir de défendre et de plaider ». Pour lui, « il serait plus efficace que l'avocat demande le désistement du juge s'il le soupçonne d'avoir été influencé par le ministre de la Justice ».
Quant au scénario selon lequel l'avocat de Tarek Yatim refuserait de se présenter lors de la prochaine audience, le magistrat indique que « la cour pourrait alors en désigner un autre pour assurer la défense » du prévenu, soulignant que « la marche du procès ne doit pas être entravée ».
Dans les milieux du conseil de l'ordre des avocats, on estime en revanche qu'en se retirant de la salle, « l'avocat n'a pas renoncé à sa procuration ». Ces sources indiquent à L'OLJ qu'il a probablement « juste voulu marquer un point ». Selon elles, « la cour ne peut pas nommer un autre avocat, tant que le principal ne s'est pas désisté ». « Si la cour opte pour cette solution, elle sera confrontée, explique-t-on dans ces milieux, à la position du conseil de l'ordre qui serait tenu de fustiger l'interférence d'un avocat dans le dossier dont un autre a la charge, mais qui a recours seulement à une stratégie de défense. »
Pour mémoire
L’assassin de Georges Rif était « en pleine possession de ses moyens »
Assassinat de Georges Rif : peine de mort requise contre Tarek Yatim
« En signe de...
commentaires (4)
Que le ministre de la Justice demande que la procédure ne s'éternise pas dans des délais très longs qui lèsent le droit des victimes et ce faisant, cherche à s'assurer du bon déroulement de la procédure, est simplement un rappel à l'ordre. Où est le problème? En revanche, les protestations devraient se faire entendre dans le cas contraire, lorsque les interventions politiciennes cherchent à entraver le bon déroulement de la justice.
Dounia Mansour Abdelnour
10 h 42, le 15 juin 2017