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Liban - La vie, mode d’emploi

64- Le salut pour les chiens

On s'étonne : y a-t-il eu une erreur typographique ? Doit-on corriger mentalement et lire salut par les chiens ou même salut de chien, comme temps de chien, c'est-à-dire sortie fichue ou fichu sur la tête... faute d'un parapluie toujours égaré, ou coincé, ou chipé ? Non ! C'est bien salut pour les chiens et on a raison d'être étonné, car moi aussi, il n'y a pas longtemps, j'aurais été surprise et me serais demandé jusqu'où peut aller le paradoxe quand on veut paraître original et qu'on ne réussit qu'à passer pour légèrement toqué et à faire du toc ou du chiqué. Alors, que s'est-il donc passé pour que se produise un tel changement et pour que mon propos de cette semaine semble renoncer aux estocs et petites morsures habituelles pour un irénisme et un œcuménisme s'étendant aux bêtes mêmes ? Une petite expérience d'un matin d'avril pluvieux que je relate ici.
Tôt, dans les rues désertes de mon quartier, au volant de ma voiture, j'ai croisé une vieille femme, la tête rentrée dans les épaules sous la bruine, en train de faire sa sortie quotidienne à son chien. Un mois auparavant, j'aurais hurlé de rage (intérieurement s'entend, car rien n'est plus déplaisant que ces concours vocaux entre chiens qui se saluent en aboyant) : quoi ! Risquer la bronchite pour une bête qui saurait très bien se débrouiller seule si on la laissait dans la nature au lieu de vouloir en faire son enfant de substitution, son compagnon de prédilection, son hameçon pour riches amateurs de cabots, son souffre-douleur qu'on tient en laisse par crainte qu'il ne s'échappe, son bibelot de salon,... J'aurais grogné de colère en me souvenant de mon petit voisin de palier qui a compris que pour espérer exister aux yeux de son papa, il lui fallait l'imiter : occuper ses loisirs à toiletter, caresser et amuser un bouledogue qui prend presque toute la place dans l'appartement, dans l'ascenseur et dans le cœur de son papa ! J'aurais grincé des dents parce que je savais qu'il me fallait m'engager, quelques mètres plus loin, dans une allée que j'ai baptisée « la promenade des chiens » tant elle est occupée à longueur de journée par de jeunes filles venues de l'autre bout du monde pour se mettre au service de la gent canine. Il est vrai que c'est l'occasion aussi pour elles de prendre l'air, de se retrouver entre compatriotes, de parler tout leur saoul à leurs vrais enfants sans aboiements ni flairs ; il est vrai également que tous les chiens ne sont pas des molosses ; il est vrai même que quelques-uns sont si minuscules qu'il faut les protéger comme des nouveau-nés des voitures trop pressées et des molosses trop empressés ; enfin, on peut multiplier les « il est vrai » ... mais la seule vérité pour moi, il y a peu de temps encore, était que des êtres humains, c'est-à-dire des esprits et des âmes, ne pouvaient être enchaînés par ces corps qui, eux-mêmes, n'aspirent qu'à la grande liberté de la forêt.
Mais voilà, j'ai regardé ce couple de la vieille femme et de son chien avec beaucoup de tendresse parce qu'entre mon indignation coutumière et leur rencontre, j'avais lu un écrivain du bout du monde qui, enfant, et alors qu'il souffrait de la mésentente de ses parents, n'avait eu d'autre consolation que la présence à ses côtés d'un chien bâtard maltraité par toute la maisonnée. Et depuis, les personnages de ses romans, écrasés par la vie, sont suivis, accompagnés, comparés à des chiens doux, fidèles... et jusqu'à Jésus même, l'éternel compagnon d'une humanité pareille « aux chiffons et aux loques ». Il est japonais, son nom est Endo, et Scorcese l'a fait connaître au grand public avec son film, Silence.
Et ainsi, de fil en aiguille, c'est-à-dire de livres en film, je me suis cousu un nouvel univers dans lequel on ne se scandalise plus à la vue de vieilles femmes promenant leur chien par des matins de pluie. Et ainsi, les chiens ont été sauvés à mes yeux par la grâce des histoires d'Endo, pour qui le salut vient aussi par eux.

On s'étonne : y a-t-il eu une erreur typographique ? Doit-on corriger mentalement et lire salut par les chiens ou même salut de chien, comme temps de chien, c'est-à-dire sortie fichue ou fichu sur la tête... faute d'un parapluie toujours égaré, ou coincé, ou chipé ? Non ! C'est bien salut pour les chiens et on a raison d'être étonné, car moi aussi, il n'y a pas longtemps, j'aurais...

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