Les États-Unis ont accusé, lundi, par la voix du département d'État, le régime du président Bachar el-Assad d'avoir brûlé dans un crématorium une partie des milliers de prisonniers assassinés dans la prison de Saydnaya. Pourquoi avoir choisi de révéler l'information à ce moment précis ?
Ce n'est pas évident de dégager une cohérence dans la politique américaine vis-à-vis du régime syrien. D'une part, il y a une attitude qui est relativement offensive, on l'a vue avec les représailles sur la base militaire d'al-Chaayrat, après l'attaque chimique de Khan Cheikhoun, ou avec la divulgation de ces informations. D'autre part, il y a des rumeurs, même plus que cela, que l'administration américaine envisage une reprise de Raqqa par les Forces démocratiques syriennes (FDS) et ensuite un passage graduel de l'administration de la ville sous contrôle du régime. Il y avait eu des divergences au sein de l'administration américaine entre ceux qui sont pour ce contrôle et ceux qui y sont hostiles. S'agit-il de l'absence de stratégie claire ou de courants différents au sein de l'administration américaine qui avancent des agendas différents ? Sachant que le régime est en position de force militairement, avec la reprise continue des quartiers de Damas, il est difficile d'imaginer quelque concession que ce soit de sa part. À la veille des négociations de paix à Genève, les Américains ont peut-être jugé que le seul levier qu'ils peuvent actionner est celui de la légitimité internationale, en divulguant ces informations. Mais ce ne sont que des hypothèses.
En divulguant ces informations, Washington tend à vouloir mettre la pression sur Damas, sur Moscou ou sur Téhéran ?
Sur tout le monde, puisque, fatalement, le régime syrien est un régime client qui est dépendant pour sa survie du soutien de ses alliés qui portent une responsabilité dans tout ce que Damas fait.
Quelles peuvent être les conséquences de ces révélations ?
Il n'y aura pas de conséquences directes par rapport aux négociations de Genève. Quand le régime a été dans une situation militaire très difficile, il ne s'est pas montré plus disposé à négocier. D'autant plus que les informations révélées ne sont pas vraiment nouvelles, car c'est dans la continuité de ce que la communauté internationale avait révélé, il y a quelques mois, sur l'ampleur des exécutions dans les prisons. La conséquence tangible et peut-être la seule qu'on puisse attendre de telles déclarations de l'administration américaine, c'est un ralentissement de la normalisation à laquelle aspire le régime syrien. Fin 2016, le lobbying du régime sur la question de la reconstruction, en se présentant devant les capitales mondiales et surtout européennes comme un interlocuteur incontournable, s'était accentué. C'est un argument qui avait été avancé avant la chute d'Alep, et après la chute ça l'a rendu encore plus crédible militairement. C'est un argument qui a rencontré un certain succès, il suffit de lire certaines analyses produites par des think tanks occidentaux. Des épisodes comme les attaques chimiques sur Khan Cheikhoun ou ce genre de révélations pourraient avoir comme effet de ralentir ce processus. Une enquête internationale comme l'a réclamé Paris hier n'aura sans doute pas lieu, car il n'y aura pas d'accord à l'ONU, certainement parce que la Russie y mettrait son veto. Mais ce n'est pas pour cela que c'est un coup d'épée dans l'eau. C'est une manière de définir l'agenda international. Si vous définissez l'agenda en posant la question « faut-il ouvrir ou non une enquête sur les crimes du régime ? », c'est aussi une manière de ne pas permettre que l'agenda soit défini par la question de la reconstruction et du financement du régime. La démarche n'est donc pas dénuée d'intérêt pour la diplomatie française.