22 octobre 1978. Des dizaines de milliers de personnes sont regroupées sur la place Saint-Pierre pour acclamer le nouveau pape. Jean-Paul II inaugure son pontificat par un discours sur la foi qui va crescendo et s'achève par des mots dont le retentissement, telle une puissante onde de choc, accompagnera moins de dix ans plus tard la chute du rideau de fer symbolisé par le mur de Berlin : « N'ayez pas peur ! (...) Ouvrez les frontières des États, les systèmes économiques et politiques, les immenses domaines de la culture, de la civilisation, du développement. » Non abbiate paura, répétait-il dans cet italien maladroit mais vibrant des débuts. N'ayez pas peur ! criait la marée humaine dans l'euphorie de la nuit du 9 novembre 1989 tandis que s'effondrait, pierre après pierre, le mur de la guerre froide qui avait séparé le monde en deux blocs 28 ans durant. N'ayez pas peur, murmurait deux jours plus tard le violoncelle de Mstislav Rostropovitch, au pied de ce qu'il restait du mur, annonçant une aube nouvelle.
Non abbiate paura. Ce n'était pas un appel à la confiance béate, mais au courage. Au courage de décloisonner le monde, d'accepter l'étranger, d'accueillir la différence et de la convertir en richesse. Il n'était naturellement pas question de former une nouvelle humanité bêtement homogène, mais d'arrêter de tourner le dos au plus pauvre, à l'étranger, au migrant, à celui qui ne connaît pas la langue, qui parle avec un accent, qui prie autrement, se nourrit et s'habille et aime autrement. Et puis de développer cette belle curiosité qui nous permet d'écouter d'autres récits, d'autres musiques, de rêver d'autres rêves, de pousser plus loin les capacités du cœur et de l'esprit. Cette supplique en trois mots sur la place Saint-Pierre ouvrait une nouvelle ère. Elle continue à résonner de plus en plus intensément en ce millénaire incertain, hanté par la peur du manque avec des ressources qui s'amenuisent, de l'autre avec une démographie qui augmente à une vitesse vertigineuse, de la perte de l'identité avec des flots migratoires incontrôlables, du chômage avec les modifications profondes que subit le cadre traditionnel du travail et de l'emploi.
À l'heure où se cristallisent les appartenances, où chaque individu se comporte en propriétaire d'une culture, d'une religion ou d'un territoire et en monte la garde en montrant les crocs ; où un quidam peut se sentir en droit d'incendier une roulotte de rom, tuant au passage une mère et ses deux enfants, et croyant se débarrasser ainsi de tous les vagabonds de la terre ; où des dizaines de remparts s'érigent en contrepartie d'un seul mur abattu qui avait en disparaissant donné une nouvelle dimension à la terre, nous ne pouvons que constater à quel point la peur nous avilit. Que les chrétiens du Liban rendent grâce aujourd'hui à leurs compatriotes musulmans, et que les musulmans remercient leurs compatriotes chrétiens pour cette longue cohabitation qui leur a appris la tolérance. Nos chicaneries et nos mouvements d'humeur ne sont rien par rapport à la haine religieuse qui ravage le monde. Et quelles que soient nos obédiences et nos différences, au moins sommes-nous certains d'être immunisés contre toute forme d'extrémisme. Cette culture est notre héritage le plus précieux.
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LES CROYANCES ET LES MOEURS SONT CHERE MADAME FIFI LES MURS LES PLUS INFRANCHISSABLES ERIGES PAR DES HUMAINS... LORSQUE LEURS PIERRES TOMBENT DE L,AUTRE COTE D,AUTRES MURS ILS FONT DES DOMMAGES !
LA LIBRE EXPRESSION
17 h 41, le 11 mai 2017