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Serrez le vice !

Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux, fait dire Eugène Ionesco à l'un de ses personnages dans La Cantatrice chauve. Parfaitement superflues sont les caresses, au Liban ; vicieux en diable en effet, congénitalement vicieux dans le sens le plus littéral du terme, sont ces multiples carcans qui enserrent, jusqu'à l'étouffer, la vie politique dans notre pays.

Premier cercle vicieux, dans cette inextricable affaire d'échelle des salaires : tout décaissement étatique implique des rentrées conséquentes. Rompant avec les vieilles habitudes consistant à dépenser sans compter pour des projets rien moins qu'urgents, l'on a cru bon, cette fois, de saisir le problème par le bout du financement : scrupules d'autant plus mal placés qu'il s'agit là d'une cause juste, d'un dossier aussi vieux que pressant.

Deuxième cercle vicieux : les députés adoptent en commission un train de nouvelles taxations, mais se ravisent en séance plénière, visiblement intimidés par l'ampleur du mécontentement populaire qu'il a suscité. Car loin de s'en prendre aux tranches les plus juteuses de la population imposable, ce sont les citoyens à faible revenu qu'on pénalise le plus durement. Voilà tout de même de quoi vous faire réfléchir à deux fois quand vous êtes député et que vous songez déjà au jour où vous aurez à affronter les électeurs... si tant est, bien sûr, qu'élections il y aura bien.

De plus en plus vicieux, mais pas trop futé en revanche : pour tenter de justifier leur propre dérobade, plus que probablement convenue et programmée d'avance, et l'avortement de la séance de jeudi, les présidences du Conseil et de l'Assemblée ne trouvent pas mieux que d'en rendre responsable le parti d'opposition Kataëb. Ils accusent ainsi celui-ci d'avoir semé la confusion dans les esprits et provoqué un défaut de quorum, allant même jusqu'à menacer de dessaisir son chef de son immunité parlementaire : initiative aussi imprudente qu'irréfléchie, puisqu'elle fait en ce moment de Samy Gemayel (qui, sans doute, n'en espérait pas tant) l'homme le plus populaire de la République.

C'est au dernier de ces cercles que revient cependant la palme du vice. Dans un pays livré depuis des années aux prévarications d'une bonne partie de la caste dirigeante, il ne devrait pas être trop difficile de grappiller le malheureux milliard de dollars qui couvrirait amplement cette fantomatique échelle des salaires. Il suffirait pour cela de le cerner là où il se niche, le vice, et puis de serrer. D'enrayer le pillage à grande échelle, de neutraliser saigneurs du racket et saigneurs du Trésor, de mettre fin aux colossales fraudes douanières commises au port et à l'aéroport de Beyrouth, de faire rendre gorge aux auteurs d'atteintes aux biens-fonds publics, de collecter les quittances d'électricité en souffrance, et l'on en passe.

Pour la première fois, le gouvernement libanais comprend un ministre en charge de la Lutte contre la corruption. Mais où se cache-t-il, celui-là ?

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux, fait dire Eugène Ionesco à l'un de ses personnages dans La Cantatrice chauve. Parfaitement superflues sont les caresses, au Liban ; vicieux en diable en effet, congénitalement vicieux dans le sens le plus littéral du terme, sont ces multiples carcans qui enserrent, jusqu'à l'étouffer, la vie politique dans notre pays.
Premier cercle...