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Liban - Tribune

Charia et citoyenneté

Sous le titre « Charia et citoyenneté », le Pr Antoine Messarra, membre du Conseil constitutionnel et titulaire de la Chaire Unesco d'études comparées des religions, est intervenu au congrès sur les libertés et la citoyenneté qui vient de se tenir à al-Azhar, au Caire (28 février-1er mars). Nous publions, dans une traduction autorisée, la version française de son intervention. Il y souligne que la notion de citoyenneté constitue un retour « au patrimoine constitutionnel musulman et arabe de gestion du pluralisme religieux et culturel ».

Voici le texte de l'intervention :
Cette région, « qui a englobé durant des siècles des peuples si divers », selon la remarque de Tarek Mitri, et qui a « longtemps reconnu les gens du Livre », comme le souligne Mohammad al-Sammak, doit nous inciter aujourd'hui à répondre à la question pertinente, posée par le patriarche grec-melkite Grégoire Laham, question qu'on a tendance à éluder :
« Comment concilier charia et citoyenneté ? »
Il faudra ici pratiquer ce que le Coran appelle tafakkur (art de repenser, de reprendre la pensée, comme le dit Paul Valéry). Comment l'État démocratique gère-t-il le pluralisme religieux et culturel ?
Et quelle citoyenneté dans une société une et plurielle ?
Il s'agit de revenir au patrimoine constitutionnel musulman et arabe de gestion du pluralisme religieux et culturel. Le droit, dans la philosophie de l'islam, est personnel, par sa reconnaissance de la possibilité de plusieurs ordres juridiques en société dans certains domaines délimités. Les Ottomans, d'ailleurs, ont pu se maintenir dans un vaste empire plurireligieux et pluriculturel, durant plus de quatre siècles, non seulement grâce à l'hégémonie et à un contexte international, mais aussi grâce à leur gestion de la diversité au moyen de régimes divers d'autonomie personnelle et de discrimination positive.
Le régime spécial des gens du Livre, appelé péjorativement de dhimmi (protégés), constituait à l'époque un progrès. On a tort d'appeler ces aménagements ottomans, en vue de les disqualifier. Ce sont des régimes pleinement musulmans et arabes, inspirés de la philosophie même de l'islam. La tradition occidentale y était totalement opposée avec le principe de l'unicité du droit. L'exemple flagrant est celui des massacres de la Saint-Barthélemy en France et du conflit entre catholiques et protestants (23-24 août 1572). Le slogan a alors été brandi : « Une foi, une loi, un roi ! » Et des protestants ont été chassés de France.
Les systèmes de pluralisme juridique en matière religieuse et culturelle sont-ils rétrogrades ? Oui, comme tout aménagement d'autrefois, quand il est analysé d'après des normes d'aujourd'hui. On peut donner l'exemple du fer à repasser d'autrefois qui fonctionnait au charbon et qui, aujourd'hui, est modernisé et sophistiqué, tout en demeurant fer à repasser avec ses fonctions et sa finalité.

***
Des régimes politiques arabes, à l'exception du Liban et peut-être de la Jordanie, par aliénation culturelle et suivant une idéologie du nation-building et du insihâr (intégration forcée et même par le fer et le sang) ont sapé ces régimes de reconnaissance juridique du pluralisme dans le but d'assurer l'unité et la cohésion nationale. Les phénomènes identitaires arabes resurgissent aujourd'hui avec violence. C'est l'idéologie sioniste qui a introduit dans la région un phénomène explosif : la corrélation entre espace et religion. Le philosophe juif Martin Buber écrit : « Ce fut un cadeau empoisonné de l'Occident aux juifs. »
Tout cela doit être repensé sans complexe ni aliénation, à la lumière de la théorie, aujourd'hui reconnue mondialement, du pluralisme juridique, en conformité avec les expériences mondiales comparatives et les exigences modernes de conformité aux normes de la démocratie et des droits de l'homme.
Telle est la problématique de l'État dans une société une et plurielle. Il est une autre problématique, pour éviter que la notion de citoyenneté ne devienne un slogan. Quelle citoyenneté dans une société multicommunautaire ? Là aussi, c'est un autre problème.

 

 

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commentaires (3)

"Telle est la problématique de l'État dans une société une et plurielle." ! Ce n'est vraiment pas un problème, comme e.g. la gestion par l’État Ottoman dans ce cas que vous citez d'ailleurs vous-même en exemple.... "Il est une autre problématique, pour éviter que la notion de citoyenneté ne devienne un slogan ! Quelle citoyenneté dans une société multi-communautaire ? Là aussi, c'est un autre problème.". En fait, ce n'est même pas un AUTRE problème, mais bien ; dans les faits ; Le Véritable et Unique Problème !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

11 h 52, le 06 mars 2017

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Commentaires (3)

  • "Telle est la problématique de l'État dans une société une et plurielle." ! Ce n'est vraiment pas un problème, comme e.g. la gestion par l’État Ottoman dans ce cas que vous citez d'ailleurs vous-même en exemple.... "Il est une autre problématique, pour éviter que la notion de citoyenneté ne devienne un slogan ! Quelle citoyenneté dans une société multi-communautaire ? Là aussi, c'est un autre problème.". En fait, ce n'est même pas un AUTRE problème, mais bien ; dans les faits ; Le Véritable et Unique Problème !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 52, le 06 mars 2017

  • OUI, à "Une gestion de la diversité au moyen de régimes divers d'autonomie personnelle et de discrimination positive.". Mais NON, à "Une reconnaissance de la possibilité de plusieurs ordres juridiques en société (Même si) dans certains domaines délimités." ! Car La Justice doit être ÉGALE pour TOUS....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 41, le 06 mars 2017

  • DEUX MOTS QUI SE CONTREDISENT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 10, le 06 mars 2017

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