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Moyen Orient et Monde - Constitution

En Turquie, les anti-Erdogan diabolisés avant un référendum-clé

Le président a entamé une tournée hier dans une trentaine de provinces, à deux mois d'un scrutin qui pourrait lui permettre de rester au pouvoir jusqu'en 2029.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan lors d’un meeting hier à Kahramanmaras, en Turquie. Yasin Bulbul / Service presse de la présidence turque / AFP

Le camp du président turc Recep Tayyip Erdogan a lancé une campagne de diabolisation des opposants à une révision constitutionnelle renforçant les pouvoirs du chef de l'État, au risque de creuser les failles qui lézardent la société.

Soutenus par une puissante artillerie médiatique, les dirigeants turcs martèlent le même message à deux mois d'un référendum le 16 avril sur la réforme : voter « non », c'est faire le jeu des « terroristes » et des « putschistes ».

Alors que le scrutin s'annonce serré, M. Erdogan, réputé pour sa rhétorique de boxeur, a tenu hier un meeting à Kahramanmaras (Sud-Est), première étape d'une tournée dans une trentaine de provinces. « Nous sommes à la veille d'une décision historique », a-t-il souligné. « La Turquie connaîtra un soir de réforme le 16 avril », a prédit le président turc, qui prononcera des discours dans plusieurs villes du Sud-Est au cours du week-end. Alors que le référendum s'annonce serré, M. Erdogan a demandé à ses partisans de « frapper à toutes les portes » pour convaincre les millions d'indécis qui feront pencher le résultat. 

Dans les faits, la campagne a déjà débuté depuis un moment. « D'une certaine manière, à vrai dire, la place de ceux qui disent "non" est à côté du 15-juillet », date d'une tentative de coup d'État l'été dernier, a ainsi déclaré cette semaine M. Erdogan, s'attirant de vives critiques de l'opposition. « Les organisations terroristes font en chœur campagne pour le "non" », a enfoncé le Premier ministre turc Binali Yildirim, ajoutant : « Mes concitoyens ne prendront pas place aux côtés des groupes terroristes. »

Selon les analystes, les dirigeants turcs reprennent là une rhétorique de stigmatisation expérimentée à maintes reprises par le parti islamo-conservateur au pouvoir (AKP), notamment depuis les grandes manifestations antigouvernementales de 2013. « Depuis que l'AKP a compris que la diabolisation d'un camp lui réussissait (...), cette stratégie est devenue sa principale machine à gagner », explique Samim Akgönül, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), en France.

 

(Pour mémoire : Référendum en avril sur le renforcement des pouvoirs d'Erdogan)

 

 

« Deux Turquie »
Pour les dirigeants turcs, la révision constitutionnelle, qui ferait du président la seule tête de l'exécutif et pourrait permettre à M. Erdogan de rester au pouvoir jusqu'en 2029, est nécessaire pour assurer la stabilité au sommet de l'État. Mais les opposants à cette réforme estiment qu'elle accorderait trop de pouvoirs au président turc, accusé de dérive autoritaire, notamment depuis le putsch manqué qui a été suivi de purges inédites. « Deux Turquie » s'opposent dans cette campagne pour le référendum, dit un militant de l'AKP qui a requis l'anonymat : « la nouvelle Turquie, forte », et « ceux qui trahissent cette patrie ». Et d'ajouter: « Le pays a besoin de Tayyip Erdogan. »

Pour les experts, une majorité d'électeurs se prononceront moins sur le contenu de cette réforme complexe que pour ou contre M. Erdogan, qui domine la scène politique turque depuis son arrivée au pouvoir en 2003. Et ce facteur renforce l'âpreté des débats, remarque Soner Cagaptay, analyste au Washington Institute : « Alors qu'une moitié des Turcs adule Erdogan, l'autre moitié, diabolisée par lui, hait le président turc et ne s'inclinera jamais devant lui. » « Les gens jugent tout en termes de pro ou anti-Erdogan », ajoute la célèbre romancière Asli Erdogan (qui n'a aucun lien de parenté avec le président turc). Pour ses partisans, s'opposer à M. Erdogan « revient à s'opposer à Dieu », explique-t-elle lors d'un entretien avec l'AFP. Par conséquent, « si tu dis "non", tu es un démon ».

 

(Lire aussi : La Turquie n'a plus de politique étrangère : les trois volte-face d'Erdogan)

 

 

« Vent contraire »
Dans ce lourd climat, le mot « non » est devenu suspect. Ainsi, une série télévisée a été accusée de mener campagne de façon subliminale pour une scène dans laquelle une famille vote autour d'une table pour décider de rendre ou non visite à un proche. Le « non » l'emporte. Cette rhétorique a plongé la campagne dans une atmosphère pesante qui pourrait desservir le camp du « oui », souligne toutefois Abdulkadir Selvi, un chroniqueur proche du pouvoir qui estime qu'« un vent contraire souffle sur la campagne du "oui" ». Mettre sur le même plan des organisations terroristes et les partisans du « non » renforce l'opinion selon laquelle une dérive autoritaire est en cours et trouble les électeurs indécis, met-il en garde.

Le chef du principal parti d'opposition (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, a accusé les dirigeants turcs de « calomnier » l'opposition car « ils ne savent pas comment s'y prendre pour convaincre les gens de voter "oui" ». Comme pour tenter de déminer la polémique qui ne cesse de croître, le ministre de la Justice Bekir Bozdag a affirmé hier : « Si une seule personne a été arrêtée parce qu'elle dit "non" au référendum, je présente ma démission. »

 

 

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