Rechercher
Rechercher

Scan TV - Scan TV

Comment la télé de mon enfance a ruiné ma jeunesse

Ce n'est qu'hier que je me suis rendu compte des effets néfastes qu'a eus la télé de mon enfance sur ma jeunesse et sur mes choix personnels. Hier encore, je rêvais de rencontrer un Abd el-Majid Majzoub de Allô Hayeti, me prenant pour l'incorrigible Hind Abillamah, la femme moderne au caractère bien trempé, faisant, pour son plus grand plaisir, un enfer de la vie de son amoureux : un homme mûr, élégant, inlassablement transi d'amour et grand seigneur du romantisme. Cette même Hind, brillamment dirigée par son grand amour dans la vraie vie, Antoine Rémi, jusqu'au dernier souffle, m'a surprise dans Hawla Ghourfati, immortalisant dans ma tête l'image de la femme libanaise, chic et digne aussi bien dans ses amours que face à la maladie. Ses yeux de biche jalousement gardés par les traits du kohol n'avaient pas besoin d'un scénario complexe car ils en disaient long, et il suffisait au public de la regarder droit dans les yeux pour s'identifier au rôle qu'elle interprétait. Ce regard, ces silences et ces soupirs qui sont mille fois plus significatifs que des phrases creuses et des vulgarités inadmissibles.

Cette idée de l'amour a germé dans mon esprit après tant d'autres comme celles de El-Denyi heik : l'amour mélangé à un brin de folie de Allouch à Chwikar, l'amour inconditionnel et soumis de Aziz el-Salamanki à Zmerroud et celui plein de sacrifices de Belboul avec son oud et ses chants d'amour à Em Coucou, déjà maman du capricieux et excentrique Coucou, issu d'un mariage précédent. L'amour gratuit du mokhtar, royal dans son rôle de médiateur, rassemblant en toute humilité tous les habitants du village en leur inculquant les principes et valeurs de la vie en société. Une tolérance et une ambiance d'amour embaumaient les esprits des téléspectateurs. Cette télévision libanaise, qui racontait des histoires souvent concoctées dans ses studios, m'a montré une société plus sereine, plus authentique, plus simple, plus réaliste et plus en paix avec elle-même que celle dans laquelle j'ai vécu et je vis toujours. Elle a dépeint une réalité qui s'est transformée pour moi en une quête permanente de ces personnages et de leurs relations saines, inconditionnelles et fortuites.

Quelle déception lorsque je ne vois plus en grandissant un Abd el-Majid Majzoub, ou un Aziz, ou même pas un Belboul. Quel dommage qu'il n'y ait plus de Hind avec des yeux tristes et expressifs, dans une société artificielle et refaite dont le seul code d'honneur semblerait celui de l'argent, de la vulgarité, du faux et du paraître.

La télé de mon enfance m'a appris l'amour patient, de long souffle, qui se forme à feu doux, à coups de téléphone, de lettres passionnées et de pièces musicales jouées au piano. C'est l'amour qui prend son temps à naître et, une fois né, il s'embrase, ne s'ennuie pas et n'est surtout pas près de s'éteindre. C'est non seulement l'amour du couple, mais aussi celui des amis, des collègues, de la famille ou des voisins qui est loin d'être parfait, mais il est bien réel et définitif, se basant sur des critères non aléatoires. C'est ainsi donc que Télé-Liban a ruiné ma jeunesse frustrée d'avoir perdu ces personnages de l'enfance. Et ma vie adulte en est déboussolée depuis. Je souffre de cette nostalgie d'une télévision protectrice des mœurs et diffusant à échelle nationale notre code d'honneur libanais sur une note d'humour et d'amour avec une brochette d'acteurs, de présentateurs et de journalistes inoubliables. La bravoure, la générosité, l'honnêteté, la fidélité et le patriotisme constituaient les mets principaux de son menu télévisé où la rigueur, la vertu et le sérieux étaient toujours de mise dans le respect total des collègues entre eux.

On a beau se moquer de cette chaîne qui s'est vu malmener durant les années de guerre, mais elle fait partie intégrante de la mémoire collective des Libanais dont un grand nombre espère la prochaine résurrection technique et artistique à une époque où les autres chaînes se livrent une guerre ouverte d'insultes et de critiques s'accusant les unes les autres de médiocrité. Télé-Liban peut être archaïque et orpheline, mais c'est une vieille chaîne qui a su rester digne et noble, et mérite notre respect ne serait-ce que pour son passé glorieux et ses leçons de vie inestimables capturées à jamais dans des archives faisant indéniablement partie de notre trésor national. Respects.

 

Dans la même rubrique

La télévision des bouffons

Merci quand même 2016...

La diffusion de la violence faite à un enfant : double agression ou révolte face à l'injustice ?

Ma déshumanisation

Ce n'est qu'hier que je me suis rendu compte des effets néfastes qu'a eus la télé de mon enfance sur ma jeunesse et sur mes choix personnels. Hier encore, je rêvais de rencontrer un Abd el-Majid Majzoub de Allô Hayeti, me prenant pour l'incorrigible Hind Abillamah, la femme moderne au caractère bien trempé, faisant, pour son plus grand plaisir, un enfer de la vie de son amoureux : un...

commentaires (1)

Mes souvenirs de la CLT, sont simples. Le Canal 7 c'était Abou-Melhem et Abou-Salim, le Canal 9 c'était "Yvette reçoit", le Théâtre de dix-heures, le Carrousel de Farid Moukheiber et les Informations par Raymond Krénik et René Poivre.

Un Libanais

12 h 33, le 22 janvier 2017

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Mes souvenirs de la CLT, sont simples. Le Canal 7 c'était Abou-Melhem et Abou-Salim, le Canal 9 c'était "Yvette reçoit", le Théâtre de dix-heures, le Carrousel de Farid Moukheiber et les Informations par Raymond Krénik et René Poivre.

    Un Libanais

    12 h 33, le 22 janvier 2017

Retour en haut