Rechercher
Rechercher

Le Liban en 2016 - Rétro 2016 - Environnement

Une solution imparfaite et controversée pour le dossier des déchets

Les relents des déchets sur les places publiques ont accompagné les Libanais durant les trois premiers mois de l'année. Aziz Taher/Reuters

Même si le mois de mars a apporté une solution – aussi imparfaite soit-elle – à la crise des déchets qui sévissait à Beyrouth et dans le Mont-Liban depuis juillet 2015, le dossier a fortement marqué l'année 2016 dans son intégralité. Et pour cause...

Les relents des déchets dans les rues ont accompagné les Libanais durant les trois premiers mois de l'année. Les relents des marchés douteux aussi... En effet, en décembre 2015, le gouvernement annonce, par le biais de son ministre de l'Agriculture Akram Chehayeb, chargé depuis août 2015 du dossier des déchets, qu'il compte exporter les ordures durant une période de 18 mois, avant le lancement d'un plan de gestion digne de ce nom. Les appels d'offres à l'intention de compagnies qui se chargeraient de ce transport sont alors lancés dans une opacité totale : ni les détails des contrats, ni les conditions de transport, ni la destination finale ne sont révélés au public. Les informations restent pratiquement inexistantes et les spéculations vont bon train, donnant lieu à de multiples rumeurs. Finalement, une destination surprise est annoncée en grande pompe fin janvier : la Russie. En même temps, les Libanais découvrent la seule compagnie ayant réussi à remporter l'appel d'offres, la britannique Chinook.

Toutefois, les zones d'ombre subsistent, et des accusations de « contrat mafieux » sont lancées contre le gouvernement. Le dénouement de l'affaire devait confirmer les pires soupçons : un haut responsable du ministère russe de l'Environnement, dans une déclaration aux médias, affirme que la Russie n'a jamais donné son accord pour l'importation des déchets libanais. Quelques jours plus tard, le 19 février, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) annonce que Chinook n'a pu fournir les documents nécessaires à temps pour la signature du contrat. L'affaire tombe – littéralement – à l'eau.
Le gouvernement revient donc à l'idée de l'établissement de décharges « sanitaires ». Le 11 mars, après d'âpres débats, la commission ministérielle et technique chargée du dossier, présidée par l'indétrônable Akram Chehayeb, annonce être parvenue à un compromis : un plan de gestion des déchets de Beyrouth et du Mont-Liban sur quatre ans, fondé sur la construction de deux décharges côtières, l'une au sud de la capitale, à l'embouchure du fleuve Ghadir (littoral de Choueifate, endroit nommé Costa Brava) et l'autre au Nord à Bourj Hammoud (littoral du Metn-Nord, près de l'ancien dépotoir du même nom ayant servi durant la guerre libanaise). Pour les déchets empilés dans les rues, la décharge de Naamé, dont une des cellules n'est pas encore saturée, serait rouverte pour deux mois.

 

D'une controverse à l'autre
La collecte des déchets commence enfin le samedi 19 mars, mais cela ne devait pas mettre un point final à la controverse provoquée par ce énième plan gouvernemental. D'une part, les écologistes, relayés par les habitants de ces deux régions, poussent les hauts cris en découvrant que les décharges seraient construites à même le littoral, sans plan clair de réduction du volume des ordures par le tri et le recyclage. D'autre part, les appels d'offres, toujours menés par le CDR (l'un des acteurs immuables de la comédie des déchets), devaient donner lieu à des situations pour le moins cocasses.

En effet, la société de Jihad el-Arab (un nom qu'on devait entendre de manière récurrente tout au long de l'année) commence par remporter l'appel d'offres pour la construction de la décharge de Costa Brava le 12 mai, pour un budget de 72 millions de dollars. Or, quand l'entreprise de Dany Khoury remporte l'appel d'offres pour la construction de la décharge de Bourj Hammoud (qui comporte des travaux supplémentaires, notamment la réhabilitation de l'ancien dépotoir) pour un budget de 109 millions de dollars, la comparaison des prix dans les deux dossiers montre une nette différence avec ceux présentés par Jihad el-Arab. Sous l'impulsion du commissaire du gouvernement au sein du CDR, qui refuse d'apposer sa signature sur le contrat avec Jihad el-Arab, le premier appel d'offres est annulé et recommencé. Il sera remporté une seconde fois par Arab le 20 juillet pour une somme de 59,5 millions de dollars, soit plus de 12 millions de moins que sa propre offre en mai !

Par ailleurs, c'est le même Jihad el-Arab qui sera chargé du tri et du traitement des déchets dans l'adjudication du 3 septembre, puis ce sera au tour de la compagnie Soriko de remporter l'appel d'offres pour la collecte et le transport, le 19 octobre, supplantant la célèbre et controversée Sukleen. Étant donné que les propriétaires de Soriko sont réputés proches de Jihad el-Arab et que la compagnie de Dany Khoury a collaboré avec lui pour la réhabilitation du dépotoir de Saïda près de deux ans plus tôt, d'aucuns se sont demandé si le nouveau plan de gestion gouvernemental n'a pas accouché d'un nouveau monopole, après celui exercé par Averda, la compagnie mère de Sukleen et Sukomi, durant 20 ans.

 

À quoi s'attendre en 2017 ?
L'été, lui, sera marqué par le mouvement de contestation du parti Kataëb contre la pollution occasionnée par la décharge de Bourj Hammoud. Ce mouvement débouchera sur un sit-in visant à obtenir la fermeture forcée du chantier, en collaboration avec des écologistes, ce qui poussera le parti Tachnag, qui avait donné son accord pour cette décharge, à fermer à son tour l'aire de stockage temporaire qui jouxte le chantier. Résultat de ce bras de fer : une nouvelle crise de collecte qui durera 23 jours et qui s'achèvera avec la fin du sit-in des Kataëb, le 12 septembre, découragés par l'ampleur de cette nouvelle pollution.

L'année 2016 aura aussi été celle des actions en justice : contre Sukleen et Sukomi pour le non-respect des contrats – un procès toujours en cours –, contre les travaux dans les deux décharges de Bourj Hammoud et de Costa Brava – des juges ont demandé, dans les deux cas, des informations supplémentaires sur les risques de pollution.

Le dossier des déchets ne sera pas, à l'évidence, mis de côté en 2017. Sur quoi devrait-on focaliser notre attention en cette nouvelle année, surtout qu'un nouveau gouvernement a pris les rênes du pouvoir ? D'une part, les procès intentés par la société civile et par certains partis, comme les Kataëb, contre des acteurs-clés de la gestion des déchets se poursuivent. À ce niveau, les travaux de construction des deux décharges restent sujets à de multiples critiques. D'autre part, la crise n'est pas réglée partout et les ordures noient toujours les rues des cazas de Aley et du Chouf (Mont-Liban), sans compter une minicrise à Nabatiyeh, provoquée par la fermeture de l'unique usine de tri du caza par des habitants mécontents. Enfin, ce plan n'étant que temporaire, le gouvernement devrait proposer une solution durable. S'il opte pour l'incinération des déchets, conformément à une décision du Conseil des ministres de 2010, une polémique avec la société civile sera sans doute inévitable.

Le gouvernement a promis d'agir contre la corruption, or aucun dossier n'est autant intimement lié à la corruption que celui des déchets. Le cabinet agira-t-il à ce niveau, sachant que le(s) nouveau(x) homme(s) fort(s) de ce business lucratif sont des proches de politiciens bien connus ?

Même si le mois de mars a apporté une solution – aussi imparfaite soit-elle – à la crise des déchets qui sévissait à Beyrouth et dans le Mont-Liban depuis juillet 2015, le dossier a fortement marqué l'année 2016 dans son intégralité. Et pour cause...
Les relents des déchets dans les rues ont accompagné les Libanais durant les trois premiers mois de l'année. Les...