Il faisait bon voir, hier soir, le cœur de la ville grouillant de monde et mille lumières de mille guirlandes se démultiplier sur la chaussée mouillée. Joie de la foule en goguette, parfum chaud des marrons grillés, clameur, musique et barbe à papa. Le train de la vie a bien voulu prendre l'aiguillage de Beyrouth. Alep ne l'aura pas vu passer. Certes, la mort est la mort, mais à ceux qui nous disent « Beyrouth a déjà vécu ça », nous répondons qu'il n'y a aucune commune mesure entre la sauvagerie de ce qui a eu lieu à Alep et le long saignement du Liban. Chez nous, cette année sévère s'achève entre indifférence et perplexité. 2016 se termine sur un blanc, bute sur une inflation de commisérations verbales, un épuisement de l'esprit, de la volonté et de l'imagination.
Là-bas le monde est fini, mais nul ne s'en aperçoit encore. On entend quelques voix dénoncer la déshumanisation de l'humanité. L'humanité est surtout désorientée comme elle ne l'a jamais été depuis la Seconde Guerre mondiale. Quelle valeur ont les valeurs que nous avons reçues? Qu'avons-nous à transmettre ? En quoi croyons-nous ? Où est notre bien commun ? Qu'allons-nous faire de cette terre et qu'y faisons-nous ?
À Alep, la transgression suprême a eu lieu. Mais de scandale il n'est plus question. D'indignation non plus. Alep a achevé de creuser les mots. Sans même penser à Alep, on a désormais du mal à dire ou écrire quelque chose qui fasse sens. Samedi soir nous célébrerons de belles funérailles pour cette année vorace. Moins chargée que les précédentes en catastrophes naturelles, elle se sera quand même nourrie d'un nombre exceptionnel de grands artistes, et surtout de dizaines de milliers de migrants et de victimes de guerre. Sans regret nous ravalerons un goût de cendre en arrachant la dernière page du calendrier. Pour solde de tout compte, un peu plus de sable au fond de nos sabliers.
Mais nous célébrerons aussi la vie qui continue et vibre en nous comme une promesse. Il y a un privilège évident d'être là. Il y a aussi un privilège de vivre ce moment pourtant nauséeux de l'humanité. Aux 7,4 milliards que nous sommes est offerte aujourd'hui la possibilité d'une aube nouvelle. Saturés de mots et d'images, abrutis par un flux d'informations que notre intelligence ne parvient plus à canaliser, désensibilisés par un rapport au réel de plus en plus filtré par les ordinateurs qui nous tiennent lieu de cerveau, nous formons une génération séminale. Nous n'avons plus d'idées, et c'est ce qui nous rend intéressants. Notre désarroi est un symptôme. Il annonce le degré zéro d'une époque qui ne peut plus compter sur les acquis de celles qui l'ont précédée. Comme à chaque fois qu'elle est bousculée par les progrès de la science et des technologies, l'histoire prend un tournant déroutant. Tout est de nouveau à réinventer. Et à moins de faire un grand feu de ce monde et qu'on n'en parle plus, nous nous laisserons dicter par la vie elle-même les simples sagesses qui lui permettront de se maintenir. Notre échec aujourd'hui est normal. Remettons-nous à demain. Demain est une autre année.
commentaires (3)
Qu'Est ce que c'est gnan gnan comme article. Il sent la barbe. .... à papa. ...Noël. .. Pour ceux qui y croient encore. ...
FRIK-A-FRAK
13 h 00, le 29 décembre 2016