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Nos Lecteurs ont la Parole - Abdel Hamid EL-AHDAB

Sadek Jalal el-Azem a combattu le paganisme musulman jusqu’à sa mort

Trois Syriens ont été au premier rang des écrivains ayant arraché les épines de l'arriération avec leurs ongles afin d'ouvrir la voie à une renaissance arabe qui paraît de moins en moins accessible à chaque approche. Ce sont Nizar Kabbani, le poète et philosophe dont la poésie cassa l'image traditionnelle de la femme arabe, Ghada el-Samman, la romancière et ardente figure du féminisme arabe, et Sadek Jalal el-Azem qui nous a quittés depuis quelques jours. La mémoire de Sadek Jalal el-Azem est celle des souvenirs qu'il nous laisse et qui commencent à Beyrouth au début des années soixante-dix. Les hommes de religion s'étaient acharnés contre sa personne pour le faire expulser du Liban en raison de ses écrits sur « la critique de la pensée religieuse ». Kamal Joumblatt s'était opposé à cette campagne et avait protégé Sadek Jalal el-Azem en le gardant à Beyrouth pour que notre ville demeure la capitale de la liberté et de la parole libre, bien que pour un moment !
Sadek Jalal el-Azem a vécu dans une période où les idées anciennes agonisaient et où le renouveau attendu ne parvenait pas encore à éclore. Il a vécu et milité en cette époque charnière où germaient de nombreuses pathologies sociales et politiques graves. Il a vécu ses idéaux de renouveau civilisateur et de modernisme en enseignant dans les universités américaines aux États-Unis, à Beyrouth, à Damas, en Jordanie et en Allemagne. Il a écrit plus de quinze ouvrages en axant sur « la critique de la pensée religieuse » et sur « la mentalité de l'interdiction » et en n'hésitant pas à défendre Salman Rushdie. L'imam Khamenei avait émis une fatwa invitant à tuer Rushdie à cause de son ouvrage intitulé Les versets sataniques. Cette fatwa avait été accompagnée d'une récompense de plusieurs millions de dollars. Sadek Jalal el-Azem avait expliqué le rôle de cet écrivain et défendu sa liberté littéraire. Il avait écrit La mentalité de l'interdiction, et il avait été le premier à appuyer la révolution iranienne, croyant qu'elle était la révolution de la liberté, mais il avait suffi qu'elle montre ses dents d'oppresseur et de tyrannie religieuse pour qu'il la critique haut et fort. Il aimait Abdel Nasser et le considérait comme le sauveur de la nation arabe, mais il avait eu, lors de la défaite de 1967, l'audace de critiquer le despotisme et l'absence de liberté et de démocratie, et il avait écrit alors L'autocritique après la défaite.
Il était l'homme de l'ère de la lumière en islam. Il était admiratif de la Révolution française et avait écrit L'influence de la Révolution française à l'époque de la Renaissance. Il était réaliste dans son regard sur l'archaïsme en islam, et c'est son réalisme qui lui a permis de façonner le chemin de la renaissance et de la réforme. Il citait souvent les propos d'Edward Said à ce sujet, notamment dans son ouvrage L'Orientalisme (al-Istichrak) : « Jusqu'à une période récente, le citoyen musulman ou le paysan musulman n'avait aucune préoccupation politique ou n'accomplissait aucune fonction ayant un caractère politique. Il n'avait, à portée de main, aucune littérature à lire autre que la littérature religieuse et il ne connaissait des fêtes que celles qui sont en relation avec la religion, tout comme il ne voyait rien du monde extérieur qu'à travers le prisme religieux. La religion lui signifiait, dès lors, tout. »
Sadek Jalal el-Azem recherchait un islam moderne qui fuit l'archaïsme. Il répondait aux partisans de la rupture totale avec l'Occident en soutenant les appels musulmans en faveur de l'abolition de l'esclavage dans l' islam ainsi que les coups de fouet et la lapidation. Il avait écrit au sujet de la tentative de suppression de l'esclavage en Mauritanie : « Selon les nouvelles qui nous sont parvenues dernièrement de Mauritanie, il semble que le pays est actuellement confronté à un conflit interne en raison de l'institution de l'esclavage et des tentatives visant à l'abolir. Il semble également que c'est la section moderne et occidentalisée de la société (le Comité militaire de salut national) qui a pris la décision d'abolir l'esclavage, ce qui constitue une rupture avec l'héritage culturel islamique. La section traditionnelle de cette même société s'oppose à cette réforme et réclame au gouvernement le paiement d'indemnités aux maîtres de ces esclaves (et non aux esclaves bien sûr !). L'esclave qui fuit de chez son maître lui est ramené par la force sur le fondement d'une fatwa musulmane officielle et contraignante. »
Sadek Jalal el-Azem s'est mis à pratiquer le défi, en s'opposant et en répondant à la campagne menée par le président iranien, Aboul Hassan Bani Sadr, lequel avait rétabli la torture dans les prisons iraniennes. À cette époque, l'ayatollah Khlalkhali avait déclaré que « le fouet est une punition stipulée dans la charia islamique et n'avait pas de lien avec la démocratie occidentale et le libéralisme, et que cela (soit les coups de fouet et autres coups portés aux prisonniers) ne peut être désigné par le terme « torture ». Il a ensuite répondu aux partisans de la rupture avec l'Occident en leur rappelant que le pouvoir républicain et le référendum populaire sont des institutions démocratiques occidentales, ainsi que l'éradication de l'analphabétisme, l'enseignement primaire obligatoire, la presse, les arts figuratifs, la détermination des heures de travail, le football, etc. et que toutes ces pratiques sont d'origine occidentale ; qu'elles ont été rapportées dans le monde musulman à une époque récente, et qu'elles ont infiltré d'une manière ou d'une autre le tissu urbain arabe et musulman aux niveaux politique, social, culturel et intellectuel.
Il a été plus loin en se demandant si l'appel musulman à la rupture avec l'Occident signifie bien l'exfiltration et l'abolition de tous ces éléments d'origine occidentale infiltrés dans le tissu vivant arabe et musulman ; il a ajouté à ce propos : « Que resterait-il alors ? Ces institutions démocratiques occidentales conçues par la bourgeoisie européenne sont amplement utilisées par la révolution islamique en Iran. Or rien de l'héritage musulman laissé par les Omeyyades, les Abbassides, les Fatimides et les Ottomans n'indique qu'ils ont pensé un seul moment à organiser un référendum populaire afin de trancher une affaire ayant un lien quelconque avec le gouvernement, le pouvoir ou toute autre institution similaire. » Enfin Sadek Jalal el-Azem s'était opposé à l'appel de Kadhafi qui avait considéré que l'arabité est l'islam même, invitant les chrétiens à renoncer à leur religion. Il avait répondu très durement à Kadhafi en lui disant : « Si Indira Gandhi, par exemple, avait préconisé une analyse pareille accouplant la religion hindouiste au nationalisme indien, que serait-il alors advenu des musulmans indiens ? »
L'exil qu'a vécu Sadek Jalal el-Azem a été le résultat des heurts journaliers entre la triste réalité arabe qu'il a vécue et les idéaux dont il a rêvé. Le dernier à avoir été visé par sa critique acerbe a été le régime de Bachar el-Assad.
Il a donc vécu à l'époque du règne du paganisme musulman car bien que l'islam ait éradiqué le paganisme et liquidé ses bases, le paganisme intellectuel est demeuré vivant et les païens continuent à gouverner la pensée musulmane et arabe en paralysant tous ses mouvements.

Abdel Hamid EL-AHDAB
Avocat

Trois Syriens ont été au premier rang des écrivains ayant arraché les épines de l'arriération avec leurs ongles afin d'ouvrir la voie à une renaissance arabe qui paraît de moins en moins accessible à chaque approche. Ce sont Nizar Kabbani, le poète et philosophe dont la poésie cassa l'image traditionnelle de la femme arabe, Ghada el-Samman, la romancière et ardente figure...

commentaires (2)

C'est un régal de lire Abdel-Hamid el-Ahdab. C'est un rayon du lumière dans cet Orient obscur.

Un Libanais

15 h 23, le 28 décembre 2016

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Commentaires (2)

  • C'est un régal de lire Abdel-Hamid el-Ahdab. C'est un rayon du lumière dans cet Orient obscur.

    Un Libanais

    15 h 23, le 28 décembre 2016

  • Les "indigènes éclairés" doivent absolument se mêler aux querelles de ces mollâhs et/ou ulémâhs ! Comme à celle de celui qu’on appelle Wallïyoûlfakkîh-"guide!" qui est, dans cette affaire des "versets sataNiques", loin de l'être ! Dans le meilleur des cas il serait permis de parler de la légèreté d'arriéré étourdi à mille lieues des réalités. Dans le pire, de provocation maniaque de fondamentaliste soucieux de préserver, avec bec et ongles Noircis, son pré carré Per(s)cé fanatique ! Car, on l'oublie, mais on était prévenus : "Roûhhoûllâh", le timonier enturbanné, est connu dans le caravansérail comme un âyâtollâh forcené impavide qui, du temps où il n’était encore que Petit môllâh, avait à son Turban accroché le "scalp" de dizaines d’ulémâhs dits déviants qui, précisément, pensaient amorcer candidement un dialogue interConfessionnel ! Sur ce plan, d'ailleurs, les choses sont on ne peut plus claires. Contrairement à certains "Marjâäs-docteurs", qui en sont férus, Moûssavîh ne goûte guère les rencontres œcuméniques. Campé, coran au poing aux lisières de la charîäâh, il dénonce des "musulmans?"-Démocrates plus soucieux d'humanitaire que de Soûrâtes et qui, "atteints de surdité" par rapport à son âllâh, "élèvent l'insulte au sacré au rang d'un droit ou d'une liberté" ! Dans une compétition dont sa Per(s)cée serait la forteresse assiégée, l'Occident figure bien entendu l'inévitable assiégeant comme il l'était jadis sous les remparts de Jérusalem du temps des Croisés !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 51, le 28 décembre 2016

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