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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Pourquoi l’armée égyptienne n’arrive- t-elle pas à reprendre le nord du Sinaï ?

Depuis plusieurs années, l'échec de l'armée à reprendre cette zone est un révélateur des faiblesses de l'État central.

Des tanks de l’armée égyptienne au Caire, le 10 avril 2014. Mohammad el-Shahed/AFP

« Dans un court laps de temps, le Sinaï sera complètement nettoyé de tous les foyers terroristes et il sera de retour comme une force supplémentaire pour la nation », a déclaré le député Ali Abdel Aal le 14 novembre, après que le Parlement égyptien eut reconduit l'état d'urgence dans le nord du Sinaï pour la neuvième fois consécutive.

Les violences dans le Nord-Sinaï font pourtant rage depuis 2013. Quatre soldats de l'armée égyptienne ont encore été tués le 30 octobre dernier et 14 « terroristes » le 13 novembre. Les autorités égyptiennes maintiennent une chape de plomb sur les événements dans cette zone, mais plusieurs sources font état de 700 à 2 000 morts du côté de l'armée, contre 1 000 à 2 000 du côté des jihadistes. Les pertes sont presque équivalentes mais les effectifs disproportionnés : la myriade de groupuscules islamistes sur le terrain regrouperait quelque 12 000 combattants contre une armée égyptienne pléthorique d'environ 300 000 soldats, et dont le régime de la conscription ne cesse de s'étendre depuis l'arrivée au pouvoir de Abdel Fattah el-Sissi en 2013.

La principale mouvance islamiste du nord de la péninsule, dont le bastion est à al-Arich, s'appelle Ansar Beit al-Maqdis (ABM), récemment renommée Wilayat Sinaï depuis que le groupe a prêté allégeance à l'État islamique en novembre 2014. Dans les années 2000, la cible principale de ce groupe était Israël, les attaques visant principalement le gazoduc du Sinaï qui fournit l'État hébreu en gaz naturel égyptien. Cette opposition aux intérêts égyptiens amène les forces armées à traquer les partisans d'ABM dans les villages du Nord-Sinaï en août 2013 : c'est le début de la nationalisation du conflit. Les exactions des soldats égyptiens dans le Sinaï poussent ABM à multiplier les attaques contre les institutions militaires et politiques jusqu'au Caire même, entraînant des sur-réactions gouvernementales, dont la plus notable est le rasage intégral par l'armée du village d'al-Lifitat, en janvier 2014.

 

(Pour mémoire : L’armée annonce avoir tué le chef de la branche de l’EI dans le Sinaï)

 

Réceptacle de tous les ressentiments
L'armée peine donc à récupérer cette zone car les groupes jihadistes bénéficient en partie de la connivence des bédouins locaux. La rivalité entre ces derniers et le pouvoir central s'inscrit dans une histoire plus longue. « Le Sinaï est à la fois une région qui a bénéficié à partir des années 90 d'un grand intérêt de la part de l'État, notamment avec le développement du tourisme dans le sud, et dont la population s'est sentie d'autant plus marginalisée qu'elle était en grande partie exclue de ce développement », explique Olivier Sanmartin, professeur à l'université de Tours et auteur d'une thèse sur l'intégration du Sinaï à l'espace égyptien.

Expropriation, détention arbitraire, exclusion du processus de développement économique, discrimination à l'emploi, chômage, autant de facteurs qui nourrissent le ressentiment de nombreux bédouins à l'encontre de l'État égyptien et les poussent à couvrir les jihadistes.

Les groupes radicaux, eux, augmentent à mesure que la répression du pouvoir augmente en intensité. « Avec l'arrivée de Sissi, on ne fait qu'assister à l'enlisement du conflit », poursuit M. Sanmartin. En effet, le président égyptien est responsable du massacre de la place Rabia, où au moins 800 partisans de l'ancien président Mohammad Morsi ont été tués à la mi-août 2013. « Il semble avéré que des éléments radicalisés après la chute de Morsi et des Frères musulmans aient rejoint les maquis du Sinaï », selon M. Sanmartin.

Cette rage contre l'État amène de fait les bédouins et les islamistes radicaux à collaborer, ce qui accroît la difficulté pour l'armée égyptienne à reprendre le terrain. Le Sinaï est en effet une région montagneuse difficile à maîtriser. Or les bédouins sont les seuls acteurs à bien connaître la région. Sans leur aide, impossible pour les autorités de localiser les cellules jihadistes.

 

(Pour mémoire : Un prêtre copte tué par l’EI dans le Nord-Sinaï)

 

Une armée à bout de souffle
Un autre facteur déterminant serait la nature même des troupes égyptiennes, mal équipées pour faire face à cette menace. « Il n'y a pas d'armée égyptienne. Il y a des généraux et colonels qui se gavent, mais pas de soldats, à part des conscrits misérables qu'on envoie dans le Sinaï », déclare Marc Lavergne, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du Moyen-Orient arabe et de la Corne de l'Afrique.

Les jeunes Égyptiens ont en effet une profonde hantise de la conscription, de 1 à 3 ans selon le niveau d'étude. Les tentatives d'y échapper sont fréquentes, allant jusqu'à l'automutilation comme se couper un doigt pour être en incapacité d'utiliser une arme. « L'armée de métier n'existe que chez les séniors, qui font du business », poursuit M. Lavergne. Véritable État dans l'État, l'armée égyptienne contrôlerait 40 % de l'économie du pays. Bien qu'ayant une assistance militaire américaine et des stages de formation aux États-Unis, que M. Sissi lui-même a effectués, seules les méthodes de la guerre conventionnelle étaient enseignées aux chefs de l'armée égyptienne.

Enfin, l'armée ne peut librement opérer dans cette région : « Les marges de manœuvre du pouvoir égyptien sont limitées dans le cadre des accords de Camp David qui font du Sinaï une région largement démilitarisée. Il a fallu aux Égyptiens une autorisation des Israéliens pour déployer leurs chars en 2011 et 2012 », note de son côté M. Sanmartin.

L'ignorance des méthodes de la guerre asymétrique, l'utilisation de jeunes terrorisés et inexpérimentés et les contraintes militaires dues aux accords de Camp David expliquent la mise en échec de l'armée égyptienne au Nord-Sinaï. « Le combat contre le terrorisme sera long, douloureux et sanglant », a déclaré le président égyptien le 25 octobre 2014, lors des funérailles nationales organisées pour les 34 soldats tués dans des attentats au Sinaï. « Mais nous vaincrons », a ajouté le président.

 

 

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