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Comptes d’un non-hiver

Faut-il être vieux, désormais, pour se souvenir des hivers froids de Beyrouth... Ces rentrées scolaires où, à peine l'été fini, la pluie guettait au carreau. Et ces récréations où l'on se bousculait dans les couloirs – la cour était trempée– en grelottant misérablement dans des souliers gelés. Et ces loupiotes qui éclairaient si mal les salles de classe aux plafonds himalayens, dont les grandes fenêtres ne donnaient que sur la grisaille doublée de grisailles à venir. Pour longtemps, calfeutrée, l'école sentirait le linoléum et le chien mouillé. Dehors, comme de toute éternité, torrents boueux, embouteillages et concert de klaxons. En secret, cependant, Noël préparait ses sortilèges. On l'anticipait sans rien dire, les décorations ne sortaient qu'au premier jour de l'Avent. Personne n'aurait eu l'indélicatesse de vendre la mèche à deux mois de la fête, ni de galvauder le rêve des enfants, ni de banaliser leur attente.

24 novembre 2016, il fait encore soleil. À un mois du mystérieux solstice d'hiver, l'équateur est encore remonté d'un cran au-dessus de la taille. La lumière est bienfaisante, d'autres nous l'envieraient. Et sans effort, nous contribuons à ces petits gestes pour la planète en économisant le fuel. Mais déjà que tout nous semble déréglé, ce dérèglement des saisons nous inquiète. Pas assez chaud pour se baigner, pas de neige pour skier, c'est toute notre identité, tout notre fonds de commerce, toute notre mythologie touristique qu'il nous faut encore remettre en question avec tout le reste. C'est aussi ce rythme, ces quatre saisons autour desquelles s'organisait la vie en rituels fédérateurs. Il y avait un temps pour chaque chose. Si le temps ne change pas, de quoi est-il le temps ?

Plus sérieusement, l'eau va manquer, prolongeant l'étiage. Et le rôle des sécheresses dans le déclenchement des guerres et des crises n'est pas à négliger. Il est urgent de prévoir, au regard de la pression démographique que subit le Liban depuis le début de la guerre en Syrie, une évaluation, un rationnement, une exploitation et une redistribution intelligente des ressources existantes.

On voudrait imaginer, dans le mercato des portefeuilles auquel nous assistons en ce moment, un désir profond de servir, organiser, porter le pays vers moins de chaos, plus d'efficacité. On voudrait tant que ce gouvernement pléthorique qu'on nous annonce, s'il voit le jour, retrousse ses manches pour arrêter cette course à l'abîme. Ce n'est pas qu'on a pris l'habitude de se plaindre pour tout et son contraire. L'électricité, l'eau courante, l'Internet et le ramassage des ordures ne sont plus chez nous que des concepts. Les mafias au pouvoir nous auront tout pris, jusqu'au sens du frisson. À moins de tenter une danse de la pluie au « palais du peuple », il ne suffira pas d'accrocher les guirlandes, ni de faire griller des châtaignes sous le soleil, pour faire venir l'hiver. À défaut, qu'on fasse venir des responsables. Ce serait un bon début.

Faut-il être vieux, désormais, pour se souvenir des hivers froids de Beyrouth... Ces rentrées scolaires où, à peine l'été fini, la pluie guettait au carreau. Et ces récréations où l'on se bousculait dans les couloirs – la cour était trempée– en grelottant misérablement dans des souliers gelés. Et ces loupiotes qui éclairaient si mal les salles de classe aux plafonds himalayens,...

commentaires (3)

"...A défaut, qu'on fasse éclore des responsables..." Magnifique, chère Madame FIFI ABOU DIB, cette phrase résume toute la tragédie que nous vivons actuellement...nous n'avons plus de responsables dans ce pays ! Bon week-end, de tout coeur, Irène Saïd

Irene Said

12 h 23, le 24 novembre 2016

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Commentaires (3)

  • "...A défaut, qu'on fasse éclore des responsables..." Magnifique, chère Madame FIFI ABOU DIB, cette phrase résume toute la tragédie que nous vivons actuellement...nous n'avons plus de responsables dans ce pays ! Bon week-end, de tout coeur, Irène Saïd

    Irene Said

    12 h 23, le 24 novembre 2016

  • Oui, mille fois oui. Tout est bon dans ce papier, rien à jeter, rien à ajouter sinon pour souligner encore et encore l'urgence que les politiques manifestent "ce désir profond de servir" leur pays.

    Marionet

    08 h 55, le 24 novembre 2016

  • Fifi nous manque six jours sur sept!!

    elly bekhazi

    07 h 58, le 24 novembre 2016

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