Bad Moms

« Tu verras, être mère, c'est magnifique. » Chaque mère a dit à peu près cette phrase à sa fille, sa copine, sa nièce, sa petite-fille et, bien évidemment, une nouvelle maman (enceinte ou ayant pondu depuis peu). « Tu verras, c'est un sentiment hallucinant, quelque chose que tu n'as jamais ressenti. L'allaitement est un lien extraordinaire, les premiers pas sont émouvants. Et la première fois qu'il dit maman, qu'il dit papa, son premier anniversaire, la première dent, les histoires le soir, le petit cartable sur son dos, ses amis, ses goûts, l'école, le premier boyfriend, la fac, son mariage et blablabla. »
Ouais. Sauf qu'on ne nous avait pas vraiment prévenu(e)s de ce que être mère (et surtout parent) voulait dire. On nous a menti. On ne nous a pas raconté le reste de l'histoire, les chapitres suivants. On nous a dit que parfois, les nuits seraient difficiles ; que les premières dents seraient source d'insomnie ; que le reflux, les coliques, les diarrhées, les vomissements, les boutons, les poux allaient nous empoisonner l'existence. Mais on ne nous a pas tout dit. On ne nous a pas dit qu'être mère, c'était mégaprenant, que ça épuisait, que ça pouvait rendre folle et qu'en fait, c'était bien plus emmerdant que plaisant. On ne nous a pas dit que toutes les périodes de la vie d'un gamin seraient difficiles. Qu'il fallait gérer des nuits difficiles certes, mais des nuits épouvantables surtout. Ces nuits où ce bébé de 3 semaines qu'on connaît à peine ne s'est pas arrêté de pleurer. Qu'on a fait boire du yensoun, caressé le ventre, fait sautiller, chanté Les Enfants du Pirée 47 fois, essayé le yoga, les massages, les incantations... Ces nuits où on aurait pu le balancer par la fenêtre. On ne nous a pas dit que non, ce n'était pas adorable un gamin qui se barbouille la figure avec son petit pot de carottes bouillies. Pas adorable du tout quand il envoie ce qu'il a dans la bouche sur le top blanc en soie qu'on venait de glisser sur nos épaules.
On ne dit rien de tout ça, parce que ça paraît tellement normal à n'importe quelle mère de se taper les colères des enfants au supermarché, de se coltiner les anniversaires, les trajets en voiture, entre deux activités, les devoirs, les rendez-vous chez le pédiatre, les cauchemars, les angoisses, les oppositions de la puberté, les fringues sales à ramasser, la chambre à ranger, les Lego qui tuent la plante des pieds... Tellement normal qu'elle ne prévient pas ses copines, qu'être mère, ça peut être (très souvent) l'enfer.
Oh, mais quelle mauvaise mère ! Si Winnicott, célèbre pédiatre et psychanalyste anglais, a préconisé qu'il n'y avait pas de mère parfaite, mais qu'il fallait travailler à être une mère « suffisamment bonne », alors non, il n'y a pas de mauvaise mère. Une mère n'est pas une bad mom si ça la saoule de faire étudier les fractions décimales, les régions françaises ; de faire réviser le qawa3ed, le néolithique, les verbes irréguliers en anglais, la poussée d'Archimède ; de faire étudier tout court. Parce que franchement, reprendre l'école à 40 ans, ça va aller. Non, une mère n'est pas mauvaise si elle n'oblige pas son fils à faire du piano, sa fille à faire du ballet, le cadet à passer sa ceinture noire de taekwondo et si ça l'emmerde de se farcir les embouteillages monstrueux de Beyrouth à 17h30 tous les mardis et jeudis soir pour que le gamin s'essaye aux échecs ; et que ça l'emmerde encore plus d'aller assister au spectacle de Noël du petit dernier.
Non, une mère n'est pas indigne si elle voyage seule, et même fréquemment. Si elle a envie de faire la fête, de prendre off, de ne pas se lever la nuit quand elle entend des pleurs, de ne pas répondre aux caprices de son ado qui veut le dernier jeu de Playstation dont il a vu la pub sur France 2
et qu'on ne trouve pas au Liban (elle ne le commandera pas à une copine qui vit à Paris) ; non, elle n'est pas mauvaise si elle donne des burgers à dîner parce qu'elle n'a pas eu le temps de cuisiner et qu'elle ne va pas acheter bio pour ses gosses qui de toutes les manières boivent des Coca dans son dos.
Alors oui, si tout ça fait de nous de mauvaises mères, eh bien nous sommes de mauvaises mères, des bad moms qui laissons traîner les chaussettes de notre bambin sous le canapé de la TV Room, les canards en plastique dans la baignoire, le peignoir mouillé sur le lit... Parce qu'on sait que le jour où il n'y aura plus ce foutoir, ça voudra dire qu'ils sont partis.