Le défilé militaire du Hezbollah à Qousseir, en Syrie, dont les photos ont circulé sur les réseaux sociaux, a suscité une vague de protestations qui a même atteint Washington, après Tel-Aviv. Au Liban, les critiques ont aussi été nombreuses, les opposants traditionnels du Hezbollah voyant dans cette manifestation un message direct au nouveau régime et au président Aoun, à la veille de la fête de l'indépendance.
Pour ces opposants au parti chiite, ce dernier aurait voulu à travers ce défilé adresser un avertissement au nouveau régime et à son chef, pour qu'il ne songe pas à évoquer la participation du Hezbollah à la guerre en Syrie et encore moins à parler du sort de ses armes. Le ministre démissionnaire de la Justice Achraf Rifi, qui se présente en rival du chef du courant du Futur et Premier ministre désigné Saad Hariri, a sauté sur l'occasion pour faire monter les enchères, selon la règle suivante : utiliser le Hezbollah pour mieux embarrasser M. Hariri et le présenter comme un leader affaibli qui cède aux diktats de ce dernier. Ce tollé politique interne a créé un malaise dans les milieux politiques, surtout après les informations concernant des obstacles entravant la formation du gouvernement (apparemment démenties par les derniers développements).
De plus, l'apparition de blindés de fabrication américaine dans le cadre de ce défilé a lancé une nouvelle polémique sur la provenance de ce matériel militaire, tombé entre les mains du Hezbollah classé parmi les organisations terroristes par le Pentagone. L'explication la plus facile met en cause l'armée libanaise, qui reçoit une aide considérable en matériel et en armes de la part des Américains. Or, si les équipements militaires américains envoyés à l'armée risquent de tomber entre les mains du Hezbollah, cela devra pousser l'administration américaine à revoir sa décision d'aider la troupe. L'armée libanaise a certes publié un communiqué dans lequel elle a catégoriquement démenti que les blindés du défilé provenaient de chez elle.
Mais, le fait que cette éventualité ait été évoquée alimente les craintes formulées par certains milieux diplomatiques occidentaux sur une éventuelle mainmise du Hezbollah sur les institutions militaires libanaises à la suite de l'élection du général Aoun à la présidence, en raison de l'alliance entre eux qui date depuis 2006.
Le Hezbollah est sans doute au courant des appréhensions formulées par les milieux diplomatiques occidentaux. Et comme il n'y a généralement rien de fortuit chez lui, on peut se demander pourquoi ces images ont été diffusées à un moment aussi délicat pour le lancement du nouveau mandat et à la veille de la formation du nouveau gouvernement.
(Lire aussi : Parade de Qousseir : le Hezbollah assure que Kassem n'a pas tenu les propos rapportés par as-Safir)
Le parti chiite n'a pas encore répondu officiellement à ces accusations, mais ses proches affirment qu'il n'y a rien d'étonnant dans cette polémique, puisque le défilé en question dérange avant tout les Israéliens qui ont aussitôt mobilisé les Américains, ainsi que d'autres Occidentaux dans une tentative de mettre en difficulté cette formation. Or, pour le Hezbollah, il n'y a aucun problème à faire peur aux Israéliens et les pousser à se poser des questions. Au contraire, c'est même un de ses objectifs, et, s'il est atteint, le parti estime avoir marqué un point. De toute façon, les sources proches du Hezbollah rappellent que, quoi que ce dernier fasse, il est aussitôt critiqué. Donc une polémique de plus ne changera rien à la situation, sachant que les Américains savent parfaitement que les blindés de la parade ne proviennent pas de l'armée libanaise.
Toutefois, la question reste la suivante : pourquoi le Hezbollah a-t-il organisé ce défilé à cette date précise à Qousseir ?
Les sources proches du parti affirment que le parti voulait célébrer dignement la « Journée du martyr » à un moment où il a perdu au moins 14 de ses combattants dans le dernier assaut des rebelles dans la région d'Alep. Comme le secrétaire général Hassan Nasrallah ne voulait pas prendre la parole à cette occasion, ayant prononcé deux discours successifs il y a très peu de temps, il fallait compenser ce manque en donnant un message fort à la base. C'est ainsi que l'idée du défilé militaire est née et que le choix de Qousseir a été voulu. D'abord, pour montrer que les armes du Hezbollah sont désormais hors du Liban (ce que le parti considère comme un message d'appui au nouveau président, alors qu'auparavant les défilés se déroulaient en territoire libanais, mais que cette fois cela aurait été mal interprété), et ensuite parce que Qousseir reste le symbole de la première victoire stratégique des combattants du Hezbollah en Syrie, puisqu'elle a permis de pacifier une grande partie de la frontière entre la Syrie et le Liban. De même, le parti chiite aurait voulu, par le biais de son défilé à Qousseir, adresser un message clair aux rebelles et à ceux qui les appuient sur le fait que cette région est définitivement sous le contrôle des forces du régime syrien et de leurs alliés. Ce message se veut une réponse aux informations parvenues au Hezbollah sur la volonté des rebelles de Daech, al-Nosra et leurs semblables de chercher à reprendre cette région, après avoir été expulsés d'Alep et d'une partie de l'Irak. À partir d'Idleb et de Jisr el-Choughour, les groupes de l'opposition auraient donc planifié de lancer de nouveaux assauts dans la région de Homs pour tenter une nouvelle fois de faire la jonction avec le Liban-Nord, qui leur servirait alors de base arrière et d'accès à la mer. Le défilé aurait donc un objectif dissuasif à l'égard des groupes jihadistes, et il n'a rien à voir avec les considérations internes libanaises.
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commentaires (5)
Y a pas matière à discuter .. le hezb est puissant et veut le faire reconnaître!! Mais une question s'impose à l'inverse comment ont ils pu parader en Syrie militairement sans qu'Israël ne les voient pas ?!?
Bery tus
15 h 06, le 17 novembre 2016