Le pire, au fond, aurait été qu'à cause de l'arrangement qui a finalement porté Michel Aoun à la première magistrature de l'État, on assiste à une de ces parodies électorales prisées par les dictatures de la région : députés tremblants, les uns d'idolâtrie, les autres... de tremblements, plébiscitant leur unique candidat à 99,99 % des voix. Mais finalement, malgré un scrutin qui fut sans surprise un peu trop unanime, le spectacle que nous a donné le Parlement, transformé en conclave de potaches, rires jaunes et humour gras, vieux guerriers cuvant dans l'ironie leurs anciennes rancunes, reflétait avec fidélité l'exception démocratique du Liban. À la cérémonie, pourtant attendue de longue date, manquait le prestige d'usage. Des cafouillages intentionnels ont gratuitement prolongé la procédure. Le président élu n'a même eu droit au solennel exemplaire en papier bible, relié plein cuir, de la Constitution, pour étayer son serment. Le chef du Parlement lui avait préparé son texte sur une feuille volante – quoique frappée du cèdre, il ne faut pas exagérer. Il y avait presque de l'honnêteté dans cette désinvolture, car eu égard au mépris dont la Loi fondamentale est l'objet depuis des années, elle n'avait pas vraiment sa place à ce pupitre. Pour finir, ce ne fut donc pas un sacre, et c'est déjà ça de pris à l'obscurantisme. Devant ce spectacle somme toute bon enfant, une fois de plus, le peuple libanais, éternel bouc émissaire de la haine immémoriale que se vouent ses dirigeants, prenait acte de la familiarité presque affectueuse avec laquelle se traitent ces ennemis intimes quand leurs intérêts communs les réconcilient. S'ils mettaient autant de zèle à le servir qu'à se mettre des bâtons dans les roues, ce petit pays serait encore un paradis.
En deux ans et demi de vacance présidentielle et de paralysie des institutions, le Liban a pris un coup de vieux... ou de jeune, si l'on considère que remonter le temps rajeunit. Or il y a dans notre histoire récente des périodes que nul n'a envie de revivre, pas même en souvenir. Mais comment ne pas y penser, tant qu'elles sont incarnées par des personnages qui n'ont jamais, présents ou absents, cédé la place, quitté le décor, accepté qu'une page se tourne et qu'une nouvelle histoire commence. À présent que le vide présidentiel est enfin comblé, nous ne bouderons pas la possibilité d'un retour, même provisoire, à une certaine stabilité. Il faut admettre que Michel Aoun la mérite, cette présidence. Nul ne l'a désirée autant que lui, nul n'a mis autant de rage et de ténacité à y parvenir. Nombreux sont parmi nous ceux qui ont payé de leur chair et de leur santé mentale les erreurs de jeunesse du « Général de la république » ; et de leur dignité ses illisibles retournements. Mais ils admettront que l'époque est davantage aux forts en gueule qu'aux forts en thème. À travers lui, aujourd'hui, une bonne partie de la population conjure ses peurs archaïques : de l'étranger, du réfugié, de l'envahisseur, de l'homosexuel, de l'intellectuel, de l'intégriste, des remises en question, de sa fragilité de minorité chrétienne dans un océan musulman. On savait que ce siècle serait religieux. On ne savait pas qu'il serait, en plus, à ce point populiste. Les identités sont meurtrières, avertit Amin Maalouf, mais c'est à ce prix qu'elles croient survivre.
Les voraces et les coriaces
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 03 novembre 2016 à 01h23
commentaires (5)
Merci pour le titre, l'article et la phrase qui me rejoint le plus: " S'ils mettaient autant de zèle à le servir qu'à se mettre des bâtons dans les roues, ce petit pays serait encore un paradis."
N. Noon
13 h 49, le 05 novembre 2016