L'attaque surprise menée par le groupe Etat islamique (EI) dans la ville irakienne de Kirkouk est typique du genre d'assauts que les jihadistes pourraient lancer une fois leur "califat" autoproclamé tombé, jugent des analystes interrogés par l'AFP.
Des dizaines de milliers de soldats irakiens soutenus par une coalition internationale menée par les Etats-Unis avancent en ce moment vers Mossoul, dernier grand fief de l'EI en Irak. Proclamé dans cette ville en 2014 par le chef de l'EI, Abou Bakr el-Baghdadi, le "califat" (territoire contrôlée par un chef dit "calife") n'a toutefois cessé de se réduire depuis quelques mois.
Avec moins de positions fixes et sans population à administrer, le groupe le plus violent du jihad moderne pourrait se tourner vers les attaques de type insurrectionnel qu'il avait l'habitude de mener dans le passé.
"Je pense que c'est ce à quoi il faut s'attendre au fur et à mesure que l'EI continue de perdre du terrain, un retour au terrorisme traditionnel et à une logique insurrectionnelle", affirme David Witty, ex-colonel des forces spéciales américaines devenu analyste.
L'EI a souvent répliqué à des offensives majeures contre ses bastions en Irak et en Syrie en ouvrant de nouveaux fronts pour éparpiller les forces ennemies et détourner l'attention médiatique de ses revers.
L'attaque dite "inghimasi" à Kirkouk --terme décrivant une opération menée par des hommes généralement ceinturés d'explosifs pour provoquer la panique plus que pour atteindre un objectif militaire précis-- a semé le chaos dans cette ville multi-ethnique située à 170 kilomètres de Mossoul.
Au moins cinq kamikazes ont visé des bâtiments clé du gouvernement, six policiers ont été tués dans les affrontements qui ont suivi et des dizaines d'habitants ont été blessés.
Impact sur Mossoul
En plus d'avoir fait la Une, l'attaque pourrait contraindre les forces kurdes --un élément clé de l'offensive à Mossoul-- à revoir leur déploiement.
Le Premier ministre irakien Haider al-Abadi a annoncé l'envoi de renforts à Kirkouk.
Selon Patrick Martin, spécialiste de l'Irak au centre de recherches Institute for the Study of War, basé à Washington, des éléments des peshmergas kurdes pourraient envisager de retirer certaines de leurs ressources des environs de Mossoul. "L'UPK (Union patriotique du Kurdistan), principal responsable de la défense de Kirkouk est particulièrement préoccupée par le contrôle de la ville sur le long terme et de ses champs pétroliers", a-t-il expliqué.
Un assaillant capturé à Kirkouk par les forces kurdes a assuré que l'assaut avait été ordonné par Baghdadi pour montrer que l'EI gardait une force de frappe.
Quelques jihadistes restaient retranchés dans des bâtiments de Kirkouk samedi mais la crainte initiale que l'EI puisse prendre le contrôle de la ville s'est dissipée.
'Plus difficile à combattre'
"Daech se bat pour garder du territoire, mais a eu davantage tendance à se replier ces derniers mois", affirme le colonel John Dorrian, porte-parole américain de la coalition assistant les forces irakiennes dans la guerre contre l'EI, utilisant un acronyme arabe du groupe.
Bien que les jihadistes aient perdu beaucoup de leurs hauts dirigeants et certaines sources de revenus ces derniers mois, le colonel Dorrian s'attend à ce qu'ils mènent une dure bataille pour garder Mossoul.
Mais M. Martin juge que l'EI a déjà accepté l'idée de perdre la deuxième ville d'Irak. "L'attaque de Kirkouk a été lancée en réponse aux pertes actuelles et futures à Mossoul mais l'EI a probablement changé d'opinion concernant la nécessité d'avoir le contrôle physique de territoires", estime-t-il.
Si l'EI "est capable de continuer à lancer des (...) attaques comme celle-ci (Kirkouk) à l'avenir, alors il continuera de représenter une menace pour les forces de sécurité irakiennes et les peshmergas", dit M. Martin.
Selon M. Witty, l'attaque de Kirkouk est un avant-goût de ce qui est à venir, puisque la reprise prévue de Mossoul par les forces irakiennes pourrait sceller le sort du "califat", du moins côté irakien. L'EI "va de plus en plus avoir recours à des attentats (...) et revenir à une pure organisation terroriste de type insurrectionnel en Irak. Ils seront alors plus difficiles à combattre", souligne-t-il.
Et de conclure: "Quand ils contrôlent ouvertement des villes et du territoire, il est beaucoup plus facile pour la coalition et pour les forces de sécurité irakiennes de les détruire que quand ils fonctionnent comme des insurgés".