Chèvre-émissaire

On ne va pas se leurrer, le temps de la misogynie n'est toujours pas révolu. Et on ne va pas se leurrer, ce n'est pas près d'arriver. On aura éternellement besoin d'un bouc-émissaire et, dans ce cas bien précis, d'une chèvre-émissaire. Dans la Bible, on peut lire que le prêtre d'Israël posait ses deux mains sur la tête d'un bouc. De cette manière, on pensait que tous les péchés commis par le peuple étaient transmis à l'animal. Celui-ci était ensuite chassé dans le désert pour servir d'émissaire et y perdre tous les péchés. Sauf que la chèvre, elle, elle essuie tous les coups. Et depuis bien longtemps. D'abord, on a dû enlever une côte à Adam. Ensuite, elle a mangé le fruit défendu. Puis, elle a tenté le Christ. Enfin, elle a tenté tout le monde et, depuis, elle porte sur ses épaules 2 000 ans de culpabilité. Et ça tire dans tous les sens. On l'excise parce qu'elle n'a pas le droit à la jouissance, elle n'existe que pour procréer. Enfin, si c'était le cas, Dieu n'aurait pas inventé le clitoris, organe uniquement de plaisir et qui n'a aucune fonction dans la reproduction. Ah oui, mais ça, on n'a pas envie d'en parler. Parce que ça voudrait dire que la femme pourrait donc avoir des rapports sexuels, juste pour avoir des rapports sexuels ? Malédiction ! Plus aujourd'hui ? C'est une plaisanterie. Aujourd'hui, on a remplacé l'excuse de la procréation par l'amour. Une femme ne peut pas coucher avec un homme si elle n'en est pas amoureuse. Ah, mais elles le font au XXIe siècle. Sauf que... Sauf que celui qui n'a jamais jugé une femme parce qu'elle a eu plusieurs amants se jette la première pierre.
Que celui qui n'a jamais jugé tout court une femme se jette une pierre. Que celle qui n'a jamais jugé une femme se jette la première pierre. On ne lui pardonne rien et on ne la comprend toujours pas. Elle est la cause de tous les maux et de tous les mots. Mademoiselle. On n'a toujours pas viré le mot de notre langage courant, même si en France les services administratifs ont dû le retirer de leurs formulaires. Quand une fille n'est pas mariée, ça doit se savoir. Les mecs ? Ça fait longtemps que damoiseau n'est plus usité. Ben oui, aujourd'hui encore, une femme qui ne s'est pas mariée reste une paria. Les mecs, on en parle moins. Ou moins mal.
Oui, on pense encore qu'une femme ne s'est pas accomplie si elle n'est pas mariée. D'ailleurs, c'est drôle quand on y pense, mais en français, on dit mon mari, ma femme. On ne dit pas mon homme. Elle est la mienne, de femme. Bonjour le machisme. Ensuite, une femme a le droit de ne pas vouloir être mère. Et non, elle n'est pas inaccomplie si elle n'est pas maman. Une femme est une femme, point. Qu'elle soit mariée ou pas. Maman ou pas. Divorcée ou pas. Une femme a le droit de ne pas aimer les enfants, comme une mère a le droit de ne pas avoir d'instinct maternel. Ce n'est pas inné. C'est acquis. C'est fou quand on pense et repense à la condition de la femme dans le monde. XXIe siècle et, pourtant, si obscur encore. Même si les lois la protègent, même si on a voulu faire évoluer les mœurs, même si et si, elle subira toutes les discriminations, les haines et les injustices. Elle subira la connerie des hommes ad vitam aeternam. Dans le désordre ? Elle est impure quand elle a ses règles ; elle doit se couvrir parce qu'elle est la tentation ; elle est responsable de son viol si elle se trimballe en minijupe, les seins dehors (et il n'y pas que l'un de nos brillants députés qui pense comme ça) et elle est responsable des insultes qu'on lui assène à cause de sa tenue. Elle n'est pas une bonne épouse si elle ne sait pas cuisiner. Pas bonne, si elle n'est pas épouse. Elle n'est pas la tutrice légale de son enfant au Liban (après ça, on se demande pourquoi elle ne peut pas ouvrir un compte en banque à ses gamins ou leur donner la nationalité). Elle est indigne si elle vit sa vie quand elle a des enfants, mauvaise si elle ne se réveille pas le matin avec ses mioches, criminelle si elle décide de claquer la porte et de les laisser avec leur père ; nymphomane, si elle aime le sexe. Elle gagnera toujours moins qu'un homme et certains métiers lui seront refusés. La femme a certes remporté quelques batailles, mais pas encore la guerre. La guerre ne se termine que lorsqu'il y a un vainqueur.
Sauf qu'une vainqueuse, ça n'existe pas dans le dictionnaire.