Beyrouth. Ses façades bigarrées, ses échoppes, ses pancartes colorées, ses marchands ambulants, son chaos, ses bruits et ses saveurs... Tout ce qui fait de la capitale libanaise plus qu'une ville, une expérience de vie. Voire de survie ! C'est cette « expérience émotionnelle du quotidien beyrouthin » qu'offre aux visiteurs de la toute première Biennale de design de Londres l'installation d'Annabel Karim Kassar, exposée du 7 au 27 septembre devant la Somerset House.
Beyrouth, comme si vous y étiez
Intitulée Mezzing in Lebanon, l'œuvre – qui occupe un vaste espace de la terrasse piétonne ceinturant la façade de ce palais à l'architecture néoclassique – déploie tout un échafaudage de cloisons verticales abritant au sol un incongru assemblage de boutiques à l'ancienne. Typiquement beyrouthines, ces échoppes de barbier (à la kitchissime pancarte signalant le « Salon Fadi »), de vendeurs de jus de fruits, de falafels, de chawarma ou encore de céramiques pour salle de bains, sont surmontées de trois étages ceints chacun de rideaux rayés flottant au vent, ainsi que d'une immense pancarte signalant une (fictive) salle de cinéma et, surtout, d'un enchevêtrement de câbles et de fils électriques... Pour compléter la scène, la conceptrice de ce projet a fait appel aux services d'artisans (dont Blatt Chaaya pour le carrelage, Henri Ghosn qui a retapissé de vieux canapés, ou encore Amer el-Lahibi, le matelassier de Tripoli, qui fait des démonstrations sur place) et de restaurateurs (à l'instar de Mourad Mazouz, fondateur du « Momo ») pour offrir des dégustations de mezzé, de narguilé, et aménager, avec du mobilier récupéré et rénové, des « lounges » où les visiteurs peuvent se poser et disputer une partie de trictrac. Elle a même ramené une de ces camionnettes bariolées qui sillonnent les rues, chargées de mobilier, de matelas et objets divers, pour recréer, au détail près, l'ambiance grouillante et chaleureuse (des authentiques quartiers) de cette ville. Et exalter ce mélange d'improvisation, d'ingéniosité et d'imperfection qui la caractérise.
(Lire aussi : « Booabbood » ou la tradition ressuscitée...)
« Utopia »
« À travers cette installation, ce n'est pas une reconstitution d'un quartier de Beyrouth que j'ai cherché à réaliser, mais une exploration de ce qui fait le tissu de cette ville. Ce mélange de mobilier, comme par exemple ces rideaux rayés que l'on retrouve beaucoup sur les terrasses et les balcons, et tous ces objets bricolés de manière improvisée qui finissent par avoir une incidence sur l'interaction des habitants entre eux », indique Annabel
Kassar. L'architecte française, mariée depuis plus de vingt ans au Libanais Karim Kassar, a travaillé de longs mois avec son équipe ainsi qu'avec trois designers libanais (Rana Salam, Georges Mohasseb et Bahi Ghobril) pour répondre à la thématique de cette Biennale axée sur l'exploration de l'Utopia, en commémoration du 500e anniversaire de la parution de l'ouvrage éponyme de fiction politique de Thomas More. « Cette utopie, je l'ai trouvée, pour ma part, dans la rue de Beyrouth, dans la façon dont les gens communiquent facilement entre eux, dans une attitude ouverte et sans jugement. » Et c'est cette relation simple aux autres qu'elle tente, dit-elle, de traduire à travers cette architecture hétérogène composée de pièces de fourniture récupérées de la rue et réparées, revisitées parfois de manière innovante, et qui donne à réfléchir sur la façon dont les objets communiquent entre eux, dans un design qui fait sens. Et qui fait appel à tous les sens.
---
Une médaille partagée
L'installation Mezzing in Lebanon d'Annabel Karim Kassar a donc remporté le « London Design Biennale Medal 2016 ». Le prix a été décerné par un jury composé de l'architecte britannique Richard Rogers, de Ben Evans (cofondateur du London Design Festival), de Paola Antonelli, curatrice du MoMa, et de Martin Roth (directeur du V&A Museum).
« Ce prix, je le dois aussi à tous ceux qui ont collaboré à ce projet. À savoir, mon équipe, celle de AKK Architects (Rabih Zeidan, Violaine Jeantet, Maria Buontempo, Marie Robin, Christophe Hascoët, Isabelle Rolland, Alain Pin), ainsi que les collaborateurs extérieurs (Georges Mohasseb, Rana Salam, Zawarib, Blatt Chaaya, Henri Ghosn, Amer el-Lahibi, Mourad Mazouz) que je tiens tous à remercier », assure la lauréate.
Lire aussi
Quand Marie Munier transforme ses bijoux en meubles et sculptures...
commentaires (1)
Bravo l'archi...mais était-il nécessaire de l'appeler par le nom de son mari (depuis 20 ans)? Elle réalise pourtant des installations magnifiques par elle-même !
Marionet
10 h 14, le 10 septembre 2016