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À La Une - Libertés

Spielberg biffé sur les affiches de « Tintin » : une insulte à l’intelligence rapidement rafistolée par ses auteurs

Au Cinema City, des bandes noires ont servi à couvrir le nom du producteur-réalisateur du film « Les aventures de Tintin : le Secret de la Licorne ». L’administration aurait agi à la demande de la Sûreté générale qui dément toute implication dans l’affaire.

Le nom de Steven Spielberg, biffé au bas de l’affiche, en tant que réalisateur.   Photo Michel Sayegh


La société civile était secouée hier par un acte, de prime abord vain, mais qui révèle sinon une ignorance manifeste, du moins une volonté de limiter les libertés, même si pareille volonté, qu’aucune autorité ne veut assumer, recourt à des manœuvres de moins en moins habiles. L’exemple le plus récent en la matière a été rapidement éludé, sitôt que ses auteurs en ont réalisé l’inanité grotesque, au symbole pourtant grave. Avant-hier, des bandes collantes noires étaient visibles sur toutes les affiches du film Les aventures de Tintin : le Secret de la Licorne qui tapissent le hall du Cinema City au City Mall de Dora, des bandes barrant uniquement le nom du producteur-réalisateur du film, Steven Spielberg. Tandis qu’hier le blog Baladi a mis la lumière sur ce fait, photos à l’appui, et que plusieurs organisations se sont prononcées sur ce qu’elles qualifient d’ultime bêtise, les bandes ont été finalement décollées des affiches... sans pour autant apaiser le débat qui les entoure.

 « Quel cinéma ? »
D’abord, qui se trouve derrière la décision de cacher le nom de Spielberg, alors que la projection du film en question se poursuivait dans tout le Liban, y compris dans les salles de Cinema City ? « Nous avons couvert le nom de Spielberg sur les affiches, à la demande de la Sûreté générale, qui invoque une liste noire sur laquelle figure le nom du réalisateur », a clairement affirmé hier Mohammad Mroué, membre de l’administration de Cinema City, selon un communiqué du centre SKeyes qui l’a contacté par téléphone.
« Quelle affaire ? Quel cinéma ? La Sûreté générale n’a rien demandé à l’administration du cinéma », a rétorqué un responsable de la SG, en réponse à L’Orient-Le Jour. Invoquant avec insistance « le ferme respect de la loi par notre institution, qui n’est pas un bazar ouvert », le responsable qui a requis l’anonymat a dénoncé la trivialité de la manœuvre sans pour autant s’en prendre à son fondement. « Spielberg est sur la liste noire. Nous aurions pu interdire le film, en vertu de la loi, qui supplante tout principe, mais nous ne l’avons pas fait », a-t-il affirmé. Et de conclure : « Nous agissons à l’heure actuelle avec souplesse dans l’application des textes. »
Confirmant ces propos, une source de l’agence des films Sony, qui dispose du film en question, a renvoyé la responsabilité de cet acte à une erreur de gestion incombant au Cinema City, plus précisément à un employé qui a pris la libre initiative de biffer le nom de Spielberg. Comment donc ces bandes ont-elles été maintenues, si leur apposition n’a pas reçu le feu vert de l’administration ? Et pourquoi ce feu vert aurait-il été donné par une administration qui n’a aucun intérêt à le faire, d’autant qu’elle aurait pu simplement choisir de ne pas projeter le film dans ses salles ?

Antisémitisme
Des réponses claires peinent à se dégager des arguments martelés hier par les autorités officielles, qui tentent de trouver une version plausible, apte à les tirer d’une affaire où seuls leurs intérêts semblent se déployer... Des intérêts motivés, peut-être, par un certain antisémitisme qui peine à s’exprimer.
C’est d’ailleurs cet angle qui resurgit pour ceux qui observent de l’extérieur les acrobaties locales, accomplies sous couvert de lois souvent désuètes, ravivées par la force. Ainsi, le Washington Post titrait hier : « Steven Spielberg, censuré au Liban ? » L’article rappelle que le nom de Spielberg a été placé sur la liste noire du Bureau central de boycottage d’Israël, affilié à la Ligue arabe, après que le réalisateur eut fait une donation d’un million de dollars à l’État hébreu lors du conflit de 2006. Si les films de Spielberg continuent d’être projetés au Liban, et dans d’autres pays de la région, « le rayage de son nom sur les affiches suggère le recours à de nouvelles tactiques pour le censurer », selon l’article du Washington Post.

Mobilisation civile
Sur la scène locale, le centre SKeyes a qualifié cet acte « d’atteinte claire et flagrante au droit de publication et au droit de savoir, ainsi qu’aux libertés publiques (...) sans compter que c’est là une insulte à l’intelligence du spectateur libanais ». Dans ce sens, Charles Jabbour, de l’association Journalistes contre la violence, a dénoncé « cette atteinte renouvelée aux libertés, qui reflète clairement la méthode liberticide d’un gouvernement, aux antipodes du terrain libanais ». Ces bandes marquent « un point d’avance pour les systèmes dictatoriaux auxquels nous n’avons jamais succombé », a-t-il ajouté, en se référant au régime syrien. « Cette fois, nous ne nous suffirons pas de simples paroles en guise de dénonciation, mais prendrons les démarches nécessaires pour arrêter la régression de plus en plus visible de l’exercice des libertés », a conclu M. Jabbour. Journalistes contre la violence doit appeler aujourd’hui à un rassemblement des ONG et acteurs civils, pour s’accorder sur « des moyens d’action pratiques » en réaction à des atteintes en croissance continue.
La société civile était secouée hier par un acte, de prime abord vain, mais qui révèle sinon une ignorance manifeste, du moins une volonté de limiter les libertés, même si pareille volonté, qu’aucune autorité ne veut assumer, recourt à des manœuvres de moins en moins habiles. L’exemple le plus récent en la matière a été rapidement éludé, sitôt que ses auteurs en ont...

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