Rechercher
Rechercher

Économie - Splendeurs et misères économiques

Ainsi soit le néolibéralisme

Né à Beyrouth, Michel Santi est un macroéconomiste franco-suisse qui conseille des banques centrales et des fonds souverains. Il est notamment l’auteur de « L’Europe, chroniques d’un fiasco économique et politique » et de « Misère et opulence ».

Peu importe le parti au pouvoir, les déclarations grandiloquentes (« Mon ennemi, c'est la finance » ), et même le Brexit, c'est le règne de l'uniformité. Pour autant, il ne faut pas mettre en cause les individus – fussent-ils présidents de la République ! – car une puissance irrésistible, un déterminisme impose une continuité lourde, au long cours, contre vents et marées. Le capitalisme oligarchique neutralise effectivement – voire stérilise – tout sur son passage et, à cet égard, la Grèce et la Royaume-Uni en sont les exemples les plus frappants, et aussi les plus tristes. Voilà une nation – la Grèce – mue par des mouvements de masse ayant suscité un renouveau politique qui a propulsé – par voie démocratique – l'extrême gauche au pouvoir... qui a très vite fait « pschitt » face aux exigences des créanciers, de la technocratie, de l'élite, du plafond de verre de l'argent. En voilà une autre – le Royaume-Uni – dont le choix de sortir de l'Union sera très vraisemblablement contourné par quelque très savant arrangement juridique que l'on fera gober à une majorité d'électeurs abondamment culpabilisée pour avoir fait un choix qualifié d'ignominieux par les adeptes de la secte ordolibéraliste.
Jürgen Habermas avait visé juste en qualifiant le rouleau compresseur économique de « théologie contemporaine », que nul n'ose pourtant ouvertement citer ou nommer, un peu comme si elle faisait partie d'un sacré qui ne peut ni ne doit s'articuler. Mentionnez-la dans un entretien télévisé et vous êtes un paria. Stigmatisez-la dans un article et vous passez pour un fantaisiste. Cette théologie sans nom s'avère indéfinissable – et taboue – y compris pour celles et ceux qui en ont conscience. Imaginez si les Soviétiques de l'époque n'avaient jamais entendu parler du communisme, tout comme il est aujourd'hui impensable d'évoquer le néolibéralisme! De fait, son anonymat est tout à la fois source et symptôme de sa toute puissance, même si c'est « lui » – le néolibéralisme – qui est aux fondements de toutes les liquéfactions financières depuis les années 1980, de tous les abus.
Crises boursières récurrentes, inégalités sans précédent dans l'histoire de l'humanité, baisse du niveau de vie, de l'éducation, de l'accès aux soins, accélération de la pauvreté et de la précarité chez les jeunes et chez les vieux, multiplication des paradis offshore, effondrement des écosystèmes. Autant de fruits pourris du néolibéralisme qui expriment les instincts les plus primitifs de la nature humaine où la compétitivité remplace jeux du cirque et mise à mort des gladiateurs. Dès lors, le « je pense donc je suis » est écrasé par le « je consomme donc je vis », et la dépense devient un vibrant hommage démocratique. L'acte d'achat devient preuve de civisme et l'inefficacité mène à la marginalisation dans un ballet où le désordre est savamment entretenu – et sciemment exacerbé – par le marché pour éliminer les maillons faibles.
Dans cette arène globale, liberté ne peut se concevoir sans marché et inégalité rime forcément avec fatalité. Dans son infinie sagesse et efficience, le marché ne s'assure-t-il en effet pas que chacune et que chacun soit sanctionné selon ses faiblesses et rémunéré selon ses points forts ? On comprend dès lors que cette authentique sélection darwinienne s'émeuve face à la moindre tentative de rétablir un semblant de balancier et d'équité, car la fortune de l'un ne peut nécessairement s'édifier que sur la misère de beaucoup d'autres. Dès lors, l'élite et les nantis rationalisent et justifient leur réussite matérielle et leur fortune par le talent et par le mérite, alors qu'un nombre écrasant les doit à l'héritage, à la chance d'une bonne éducation, à un milieu social favorable... C'est alors que les pauvres se persuadent qu'ils ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes de leurs échecs, qu'ils se résignent au chômage et au déclassement, un peu comme les bêtes mises à mort aux jeux du cirque scrutaient l'assistance l'espace d'un instant de répit.

Peu importe le parti au pouvoir, les déclarations grandiloquentes (« Mon ennemi, c'est la finance » ), et même le Brexit, c'est le règne de l'uniformité. Pour autant, il ne faut pas mettre en cause les individus – fussent-ils présidents de la République ! – car une puissance irrésistible, un déterminisme impose une continuité lourde, au long cours, contre vents et...

commentaires (1)

Excellent!

Abdallah Charles

05 h 00, le 29 juillet 2016

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Excellent!

    Abdallah Charles

    05 h 00, le 29 juillet 2016

Retour en haut