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Liban - Récit

Remonter le temps chez « Gladys », toujours à la recherche de son époux disparu...

À l'est de Saïda, un drame a accouché d'une belle histoire d'amour, de générosité et d'hospitalité : une maison d'hôte.

Gladys Dib Saab entourée de ses deux filles, Nathalie (à gauche) et Nancy.

1985. Élias Saab quitte Jezzine en direction de Saïda. Gladys, sa femme, vient d'accoucher de sa deuxième fille, Nathalie, quelques jours plus tôt, et se prépare à rejoindre enfin sa deuxième fille, Nancy, âgée d'un an, gardée par sa tante paternelle. Élias, originaire de Jinjleya, n'arrivera jamais à Saïda ce jour-là. Gladys l'attendra en vain... Seule, elle paraphera, au bureau d'admission de l'hôpital, les documents qui devaient être signés par son mari et se lancera, la tête la première, sans préambule, dans une nouvelle vie, sans mari, avec deux fillettes sur les bras...


2016. Jinjleya, Liban-Sud, à dix minutes de Saïda. Gladys est submergée par l'émotion. Elle met la touche finale au décor de la maison familiale héritée de son époux, qui était en ruine durant la guerre. Aujourd'hui, cette demeure se dresse à l'entrée du village, comme si elle toisait avec dédain les esprits sceptiques. Vêtue de pierres blanches telle une mariée qui attend impatiemment son époux, toute fière de lui être restée fidèle toutes ces années de guerre. Elle reçoit souvent des invités, Gladys. Elle aime en recevoir chaque week-end. Sa porte reste d'ailleurs ouverte, elle n'a peur de rien. Elle veut agrandir sa petite famille et devenir l'hôte idéal dans l'espoir que ses convives tombent sous le charme de sa cuisine traditionnelle, du village natal de ses deux princesses et du Liban-Sud.

 

Les chambres Ghazal et Wardé
Pour célébrer la renaissance de la maison d'Élias disparu dans le temps et dans l'espace comme beaucoup d'autres durant la guerre, elle espère accueillir bientôt tous les amoureux de voyages et de nouvelles expériences. Elle rêve « d'élargir le cercle d'amis et de parents pour ses filles qui, durant des dizaines d'années, n'avaient qu'elle seule pour lien parental ». Sous le soleil de juillet rayonnant d'espoir, Gladys rit à gorge déployée. Elle essaye de fuir le regard des curieux avides d'entendre son histoire, de connaître son parcours et ce secret qui lui ont permis de s'armer d'une paix intérieure inébranlable. Elle, pour qui la vie n'a pas été clémente, et qui aurait mieux fait de laisser tomber la propriété familiale et se résoudre à une vie de misère de « femme endeuillée très tôt dans une société patriarcale qui ne lui fait même pas confiance pour garder ses propres enfants »...
Elle observe d'un regard satisfait, mais rongé par les années de lutte, l'intérieur de cette maison qu'elle espère partager avec ses invités bientôt. Les pièces sont aménagées en toute simplicité, mais avec beaucoup de goût et de finesse. Les rideaux des chambres Ghazal et Wardé, brodés de petites fleurs, attendent impatiemment de se fermer sur des mots d'amour ou sur les rêves de familles fuyant le rythme effréné de la vie urbaine.

 

« Je le cherche jusqu'à ce jour »
Le trio inséparable veut se joindre aux histoires de ses invités, faire la cuisine avec eux, leur faire profiter d'un cadre rural exceptionnel dans un décor intérieur artisanal qui se marie parfaitement à cette maison campagnarde. Gladys respire à fond cet air du Sud qu'elle a eu tant peur de perdre à jamais, en balayant du regard l'horizon, là où les cimes des oliviers entourant la propriété, épousant le bleu azur de la Méditerranée.
Avec toute l'énergie qu'une mère solitaire peut porter au creux du ventre, elle raconte un autre épisode de son histoire, entremêlée à celle de la maison d'hôte baptisée en son nom : « Je le cherche jusqu' à ce jour. Je suis à la recherche d'Élias Saab, père de deux filles, une qui avait un an et deux mois et une autre qui n'avait que quelques jours. » Cette enseignante, qui a fini par se résigner à la disparition de son mari, a dû affronter tout de suite après son rapt une autre menace : l'héritage de son mari, autour duquel se sont agglutinés plusieurs proches ; comme des abeilles sur du miel, et qui se moquaient de l'affliction et du désarroi de Gladys. « C'est à ce moment-là que j'ai décidé de ne jamais laisser tomber cette propriété, qui, aujourd'hui, revêt ses plus beaux atours et que la justice nous a finalement aidé à garder », raconte Gladys Dib. « Je fais d'ailleurs partie du comité des parents des disparus qui assure le suivi de ce dossier», dit-elle émue.

 

Une photo de Gladys et d'Élias
Elle prend une petite pause pour couper une pastèque sans se départir de son sourire contagieux qui dévoile une âme débordant de générosité. « Vous devez manger !
Je refuse que quelqu'un me rende visite sans prendre le café et le dessert. Et n'oubliez pas d'emporter avec vous en sortant un sac de citrons fraîchement cueillis du jardin ! » insiste l'enseignante, qui a connu « l'amertume et le désespoir durant plusieurs années avant que les filles ne terminent leurs études universitaires ».
D'ailleurs, elle a récemment transformé avec ces deux belles brunes, d'incorrigibles romantiques, la maison familiale en un atelier de menuiserie, de peinture et d'arts plastiques, pour lequel plusieurs artistes et ouvriers du coin ont bien voulu offrir leur aide et leurs conseils. La créativité et le don pour la couture transmis par Gladys, forcée de travailler, notamment dans le tricot, afin d'arrondir ses fins de mois lorsque les filles ne travaillaient pas encore, sont bien visibles dans tous les recoins du duplex ressemblant de près à un musée d'art et d'objets d'antiquité. L'essence du romantisme purement féminin se dégage de l'ensemble des pièces décorées par Nancy et Nathalie Saab, avec le bois comme matériau dominant, plongeant les visiteurs dans une ambiance chaleureuse réconfortante. D'autres tableaux ou miroirs, ici et là, sont des cadeaux ou des propositions d'amis qui ont aimé se joindre au rêve de la famille Saab qui avait l'impression qu'Élias était toujours présent à mesure que le rêve de maison d'hôte prenait forme. Des portraits de la maman, centre de la vie des deux sœurs soudées, sont accrochés un peu partout dans la résidence. Une photo de Gladys et Élias durant la cérémonie de leur mariage repose au-dessus du lit d'une des filles, dans une ultime tentative de remonter le temps et de capter, à l'intérieur d'un cadre en bois, le regard rassurant d'un père arraché trop tôt au cadre familial.

 

Potager et mouné
Un potager récemment aménagé tout autour de la maison fournit la famille en ingrédients frais du terroir pour concocter de délicieux petits plats aux convives. Par ailleurs, des citronniers, des amandiers, des pins et des oliviers regorgent des bienfaits de la nature que Gladys ne manque pas de transformer en provisions traditionnelles pour l'hiver –
cette fameuse mouné... « La tentation sera forte ici, les visiteurs peuvent se procurer de tout chez moi, de l'huile d'olive, des olives, de la confiture, de l'eau de rose, de l'eau de fleur d'oranger, etc. », énumère-t-elle avec un air enjoué.
Ses filles, aujourd'hui architectes d'intérieur chevronnées, s'approchent et l'enlacent dans un moment de forte émotion. Elle les repousse gentiment : « Je n'aime pas qu'on s'attache à moi, elles doivent être fortes et autonomes », rétorque cette femme qui a appris à rester stoïque il y a une trentaine d'années, à un moment où elle était le plus vulnérable, un nouveau-né dans les bras.
Gladys attendra toujours Élias, sur le perron de leur maison. Près de la Vierge, de saint Élie et de saint Charbel, ses seuls armes sûres. Elle le reconnaîtra dans le visage d'un touriste ou d'un voyageur venu s'oublier dans ce cadre féerique en dehors du temps. Il doit être en paix, maintenant, Élias, car elle a su prendre soin avec brio de ce qu'il avait de plus précieux : les deux prunelles de ses yeux, Nancy et Nathalie, et sa maison familiale transformée après maints sacrifices et des crédits successifs en une maison d'hôte figurant sur la liste triée sur le volet du site de maisons d'hôtes, L'Hôte libanais.
Gladys est un petit coin de paradis au décor bien méditerranéen, qui promet de donner beaucoup de joie aux amateurs de la nature et des mets traditionnels. Cette femme exceptionnelle et ses jeunes filles réussiront sûrement à placer Jinjleya et ses fameux citronniers sur l'itinéraire des touristes libanais et étrangers, curieux de connaître le Liban autrement.

 

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commentaires (1)

Grande et profonde est mon émotion! Madame Gladys Saab mérite tous les éloges! Elle a fait preuve d'un courage admirable et d'un dévouement qui ressemble plus à un sacrifice permanent! Que Dieu vous bénisse Madame et protège vos charmantes filles Nathalie et Nancy! Il ne faudrait pas perdre l'espoir...! Bon courage, bonne chance et sincères félicitations!

Zaarour Beatriz

23 h 39, le 19 juillet 2016

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Commentaires (1)

  • Grande et profonde est mon émotion! Madame Gladys Saab mérite tous les éloges! Elle a fait preuve d'un courage admirable et d'un dévouement qui ressemble plus à un sacrifice permanent! Que Dieu vous bénisse Madame et protège vos charmantes filles Nathalie et Nancy! Il ne faudrait pas perdre l'espoir...! Bon courage, bonne chance et sincères félicitations!

    Zaarour Beatriz

    23 h 39, le 19 juillet 2016

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