Bonjour ma Josée,
Ça fait une mèche que je ne t'ai pas écrit ma toutoune*. J'vais pas t'achaler avec nos histoires, mais c'est à perdre la boule par ici. Tu vas penser que je me fais toujours des montagnes avec rien, mais nous sommes toujours mal pris. On s'arrache par ici ben raide... On a beau s'astiner, on est toujours à la même place. On ne fait que bourrasser parce que chez nous, c'est tout un chiard.
T'sais nos amis syriens, ben les colons campent chez nous. C'est pas de la petite bière cette affaire. Ça nous met à bout de nerfs, alors, ça bardasse dans le pays. Tu me diras que ça a pas rapport, que vous en avez accueilli pas mal chez vous, que vous avez le cœur large, que vous êtes bons comme du bon pain de ménage. Mais chez vous, ce n'est pas comme chez nous. Chez vous, il y a des lois, des règlements, il y a de l'autorité. Chez nous, c'est le bordel tout court, on se laisse monter sur le dos. On n'a pas le système qu'il faut, tout est si croche, alors on capote ben raide. Chez vous, vous savez mettre les cordeaux. Chez vous, il y a de l'espace, de l'ouvrage pour eux. Chez nous on est déjà tassé, comme des sardines dans une canne. Il ne faut pas nous en rajouter, on va finir par tomber en compotes, je t'jure.
On n'a toujours pas de président pour présider notre République ça s'peux tu ? On se fait crosser en masse, je t'dis. C'est tous des épais écornifleurs qui montent sur les hustings pour chier la broue à pleine gueule. À chaque réunion parlementaire, on s'énerve le poil de la jambe. Ils se fichent de nous comme de l'an quarante. Je ne sais plus quel wise, bouché par les deux bouts, nous a crié que notre gazon demeure plus vert que chez le voisin, malgré tout, alors on se la ferme.
Il y en a qui ne veulent rien savoir, qui se prêtent les bretelles, qui s'en balancent et qui te jettent plein la vue. Ils appellent ça être positif, être brillant, moi je trouve qu'ils sont niaiseux pas mal, ils ont perdu le sens des réalités, c'est tout. Chez vous, vous avez les yeux tout le tour de la tête... Chez vous tout est si drette.
Et puis chez vous, y a l'beau Justin. On me dit qu'il est smart, qu'il est fin, qu'il n'est pas tata. Il ne pète pas de la broue. Il ne se balade pas avec ses gros chars et sa troupe de bouncer. Il ne flambe pas vos piastres pour des gogosses. Chez nous, c'est tous des p'tits criss qu'il faudrait dumper, mais on n'y arrive pas.
On est très insécure par ici ma chouette. Tu peux te faire moucher à n'importe quel moment de ta journée. J'ai beau pu faire mon innocente et ma courageuse, je sens la tension dans l'pays. Chez nous, on est pris par des guerres auxquelles je ne comprends pas grand-chose. Tu peux te faire sauter au nom de je ne sais pas quel dieu. Chez vous, c'est diffèrent, pas à peu près. Vous vivez de tolérance, du respect de la différence, Dieu est parmi vous. Chez nous, Il n'est plus là. Chez nous, on se croit obligé de porter le deuil tout le temps ou presque, on est de vrais licheux, tantôt on est France, tantôt on est Belgique, tantôt on est Orlando, tantôt Charlie. On n'est jamais Afghanistan, Pakistan, Égypte, Syrie, Irak, Gaza. Ça ne donne pas bien. Je pense même qu'on a décidé de les enrayer de la carte, ceux-là.
Je n'oublie pas la crise des vidanges. On a été inondé par de la shnoute tout le long. C'était ben fuckant. Ils ont garoché nos ordures partout. On a mangé nos bas. On s'est fait bouffer par des maringouins et des bibittes, venus en masse, à cause des odeurs des poubelles qu'on essayait d'abriller pour cacher... Et pis, ça s'est amanché, je ne sais pas trop comment. Chez vous, vous aurez fait tout un plat d'enquêtes, vous aurez accouché de commissions de vérification. Vous aurez bourrassé haut et fort sans chier des briques et sans avoir peur. Chez vous, vos vidanges sont belles, ramassées, triées, paquetées et recyclées. Vous êtes intelligents, vous n'êtes pas tombés de la dernière averse. Nous autres on devient épais comme des dictionnaires. On capote tellement qu'il commence à nous manquer des roues dans le cadran.
J'ai toujours dans ma face ces greluches qui se font griller sur les terrasses d'à côté. Elles passent leur temps à se faire chauffer la couenne... Elles ne sont pas nées pour du p'tit pain. Elles ont les deux yeux dans le même trou, t'se ce que je veux dire. Elles pellettent des nuages à la journée longue, elles ont le temps de tataouiner. Elles vont vedger tout l'été et puis l'hiver venu, elles vont dormir comme des marmottes... Ah, ces femmes bien de chez nous : elles sont toutes relookées, déplissées, gommées au coton, fardées comme un arc-en-ciel... Chez vous, tu dois être matinale comme un réveil-matin pour aller rouler ta bosse, tu trimes dur, t'as pas le temps ni pour bretter, ni pour t'épivader, t'es pas plate, tu buches, tu retrousses tes manches et tu tires ton bout...
Je suis en amour, ma Josée... Je ne perdrai pas la boule, t'inquiète pas. Mon chum fait partie de la haute gamme, il fait branler tout le monde. Parfois, il joue au petit Jean-Levesque, mais il est patient comme saint Joseph. Il sait mettre les points sur les i et les barres sur les t, et pis, lui, il ne se fait pas piler sur les pieds. Il sait compter ses minots. Il est bon comme le jour, beau comme Jésus. Il prend la vie du bon boutte. Il a les yeux clairs comme l'eau de roche. Il est honnête comme du bois franc. Il a le cœur large, c'est un homme qui a de l'étoffe, un vrai cette fois ci.
Ma gamine rentre chez nous. Elle est belle comme une fleur. Elle repaille ses petits. Elle prend dans ses malles des souvenirs d'ici. Elle a grandi ici, elle aime le pays. Mais chez nous, elle ne peut pas rester. Ça sera toujours une étrangère avec des permis de séjour, des étrangers on n'en veut pas toujours par ici. Moi, j'peux rien faire même si j'ai tout une pogne. Une femme, nonobstant sa personnalité juridique entière ne transmet pas la citoyenneté à son enfant. C'est tout un mélangeaillage. Chez vous, c'est diffèrent, c'est facile et simple. Un enfant a la citoyenneté de sa mère, celle qui l'a porté dans ses entrailles, tout simplement
Allez ma Josée, je me suis débourrée le crane mais je crois cailler. J'ai fait une journée de fou. Tu me connais, je ne sais pas rester en place, je travaille comme six.
J'ai oublié de te dire : bonne fête du Canada, c'est pour cela que je t'écrivais d'ailleurs, vois-tu je suis toujours out of order par ici...
*En hommage au dialecte québécois que j'ai acquis...