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Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

Relire Elie Wiesel. Se noyer dans La Nuit. Escalader ses mots, pantelant, en apnée, se laisser chuter dans ses fulgurances, entre un maniérisme logorrhéique et une épure d'une violence et d'une beauté inouïes. Comprendre la dimension universelle de la Shoah : se résigner à la voir, toutes proportions mille et une fois gardées, reproduite, ici et là, du moins dans son esprit, dans cette détermination à taire l'autre, l'annihiler, quel qu'il soit, sunnite, chiite, chrétien, musulman, juif, palestinien, opposant chinois, turkmène ou syrien, gay saoudien ou iranien, obèse hollywoodien, intellectuel français, peu importe – la fin justifiant (tous) les moyens.
Relire Elie Wiesel. Se noyer dans La Nuit. Puis retrouver, nauséeux, chaque homme dans sa nuit.
C'est-à-dire se demander comment ce monsieur, littéralement extraordinaire, grand-croix de la Légion d'honneur et commandeur de l'ordre de l'Empire britannique, qui a reçu aux États-Unis la médaille d'or du Congrès et la médaille présidentielle de la Liberté, qui a été fait docteur honoris causa par plus de cent universités, dont les plus prestigieuses, et qui s'est vu décerner le prix Nobel de la paix en 1986, comment ce monsieur, donc, a pu à ce point passer à côté de l'essentiel. De l'organique. Se demander comment cet homme, profondément bon et qui a juré de ne jamais se taire quand des êtres humains endurent la souffrance et l'humiliation, où que ce soit ; comment cet homme qui a asséné, en recevant son Nobel, que la neutralité aide l'oppresseur, jamais la victime, et que le silence encourage le persécuteur, jamais le persécuté, a pu à ce point se détacher, s'exempter de la souffrance viscérale et du processus de démembrement systémique des Palestiniens ? Comment, englué dans sa nuit, il a réussi à ne pas voir ces étoiles jaunes agrafées, presque en fusion, sur le torse de ces Palestiniens, femmes, hommes, vieillards et enfants, dont le seul tort est d'avoir voté soit pour une majorité de crétins, soit pour une majorité de criminels ? Les Palestiniens sont des êtres humains. Ils ont le droit de vivre librement, dignement, sans peur ni honte. Et il incombe au monde et à Israël de tout essayer pour les y aider sans leur faire perdre la face. Bien sûr, ces mots sont ceux d'Elie Wiesel, publiés en 2001 dans Le Monde. Bien sûr. Mais...
Mais Elie Wiesel, dans sa nuit, vampirisé, consentant, par cette Jérusalem qui l'habite, infiniment, et qui a dévoyé son hyperjudéité, a préféré détourner les yeux. Et les oreilles. Ne pas se mêler : Je ne suis pas citoyen israélien. Peu importe que quelques-uns de ses coreligionnaires l'aient accusé d'instrumentaliser la Shoah, peu importe qu'il ait accepté, au crépuscule de sa vie, de présider, de loin, le mouvement de colonisation Elad : ce qui rend triste, ce qui enrage, c'est tout ce could have been (done), c'est ce gigantesque sentiment de gâchis, cette quasi-certitude qu'il aurait pu, s'il l'avait voulu, modifier ne serait-ce que d'un ou deux degrés l'angle de l'histoire, cette gueuse. Qu'il aurait pu, bien plus intelligemment qu'un Noam Chomsky enferré dans son anarchisme suranné, jusqu'au-boutiste et stérile, impacter quelque chose – fût-ce juste les mentalités. Qu'il aurait pu forcer l'un des pires Premiers ministres de l'histoire d'Israël, Benjamin Netanyahu, qui lui a proposé la présidence de l'État hébreu et qui l'a qualifié tout récemment de rayon de lumière et d'exemple d'humanité qui croit en la bonté de l'homme, à baisser les yeux. De honte.
Elie Wiesel est décédé ce 2 juillet à l'âge de 87 ans. Le décidément irremplaçable Yitzhak Rabin lui donnera une grande, une fraternelle accolade, mais il aura sûrement deux mots à lui dire.

Relire Elie Wiesel. Se noyer dans La Nuit. Escalader ses mots, pantelant, en apnée, se laisser chuter dans ses fulgurances, entre un maniérisme logorrhéique et une épure d'une violence et d'une beauté inouïes. Comprendre la dimension universelle de la Shoah : se résigner à la voir, toutes proportions mille et une fois gardées, reproduite, ici et là, du moins dans son esprit, dans cette...

commentaires (3)

DES HOMMES... HAHAHA... EST-CE QU,IL Y EN A ENCORE DANS CE MONDE ?

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 29, le 05 juillet 2016

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Commentaires (3)

  • DES HOMMES... HAHAHA... EST-CE QU,IL Y EN A ENCORE DANS CE MONDE ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 29, le 05 juillet 2016

  • Je tiens à m'excuser Ziad , je ne vous aurai jamais cru capable de dire des choses aussi sensées. Pardon. Mais une fois ceci dit et enregistré, ne pensez vous pas que la matrice du mal qui englouti notre terre réside justement dans ce qu'un homme comme elie wiesel , que vous dépeignez aussi bien , puisse être aussi sourd , aveugle et muet sur le sort des tortionnaires du peuple palestinien ? Et que par ailleurs tous ceux qui adoptent le même comportement que lui , puissent être condamné sans aucune forme de procès? Je vous assure Ziad , si vous aviez la même régularité de dénonciation vis à vis de cette forme de barbarie israelienne que vous ne l'aviez sur d'autres, et on se comprend , vous seriez le phénix des hôtes de ce bois.

    FRIK-A-FRAK

    14 h 25, le 05 juillet 2016

  • C'est ce qu'il fallait dire et vous l'avez dit.

    Saleh Issal

    03 h 32, le 05 juillet 2016

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