La lettre d’excuses envoyée hier par Recep Tayyip Erdogan à Vladimir Poutine précise que « la Russie est pour la Turquie un ami et un partenaire stratégique ». Une façon de tourner la page et d’engager un processus de réconciliation. Kayhan Ozer/Presidential Palace/Handout
En matière de diplomatie, la rancune n'est pas un luxe que l'on peut se permettre. La Turquie vient de le prouver à deux reprises, en moins de 24h, en normalisant officiellement ses relations avec Israël puis en faisant un pas important en vue d'une réconciliation avec la Russie. Les deux événements ne répondent pas à la même temporalité et ne peuvent pas être mis sur le même plan.
La normalisation des relations avec Israël, après six ans de brouille, fait suite à de longs mois de négociations entre les deux États et répond à un intérêt commun pour les deux puissances. En mal d'alliés régionaux, notamment du fait de son soutien à l'opposition à Bachar el-Assad et de son appui aux Frères musulmans, Ankara avait besoin de briser son relatif isolement diplomatique. Israël, de son côté, consolide ainsi ses alliances bilatérales dans la région et s'offre un allié précieux dans sa volonté de contrer les velléités hégémoniques de l'Iran au Moyen-Orient. La question énergétique est également un facteur-clé du rapprochement entre les deux États : Israël cherche à exporter son gaz naturel, et la construction d'un pipeline passant par la Turquie a été évoquée. La relation entre les deux pays pourrait se résumer ainsi : nécessité fait loi.
(Lire aussi : Israël et la Turquie normalisent leurs relations : pourquoi et comment ?)
Le geste de rapprochement envers la Russie est, quant à lui, beaucoup plus surprenant. Les relations entre ces deux anciens alliés s'étaient très largement refroidies depuis novembre 2015, après qu'un avion militaire russe a été abattu par Ankara en Syrie. Si les deux puissances ont de nombreux intérêts en commun, leur opposition frontale sur le terrain syrien ne laissait pas présager d'une réconciliation rapide. Alors qu'Ankara soutient les groupes opposés au régime de Damas et bombarde les positions des Kurdes syriens du YPG (Unités de peuplement), Moscou combat aux côtés des troupes loyalistes et appuie les revendications d'autonomie des Kurdes syriens. La lettre d'excuse, envoyée hier par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, au président russe, Vladimir Poutine, précise que « la Russie est, pour la Turquie, un ami et un partenaire stratégique ». Une façon de tourner la page et d'engager un processus de réconciliation.
Le fait que ces deux gestes diplomatiques soient annoncés le même jour est-il le simple fruit du hasard ? Cela paraît assez peu probable tant la symbolique est forte. Compte tenu des bonnes relations qu'entretiennent actuellement Israël et la Russie, il est même possible que l'État hébreu ait servi de médiateur entre les deux gouvernements.
(Lire aussi : La Turquie cherche à renouer avec ses anciens alliés)
Pragmatisme
Ces deux annonces semblent en tout cas s'inscrire dans une logique plus globale pour Ankara. Après être passé en quelques années d'une diplomatie du « zéro problème avec les voisins » à une diplomatie du « zéro solution avec les voisins », Ankara semble vouloir apaiser à nouveau ses relations dans la région et rompre ainsi son isolement diplomatique. Très critiqué ces derniers mois pour sa gestion du conflit syrien et pour sa pratique de plus en plus autocratique du pouvoir, M. Erdogan était notamment pointé du doigt pour ses sorties provocatrices et son caractère imprévisible. Aujourd'hui, il semble faire preuve de pragmatisme.
Forte de sa puissance, la Turquie voulait profiter il y a cinq ans du printemps arabe pour devenir la puissance dominatrice dans la région. L'évolution de la situation en Égypte, où elle soutenait le président Morsi, chassé du pouvoir à la suite d'un coup d'État, mais surtout les conséquences de la crise syrienne sur sa situation intérieure l'ont obligée à revoir sa politique. La crise des réfugiés, la multiplication des attentats terroristes et surtout la reprise des affrontements avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et sa branche syrienne, le PYD, ont contraint Ankara à adopter une posture plus défensive par rapport à la crise syrienne. C'est probablement, en partie, en raison du risque de voir se former un territoire kurde autonome à sa frontière avec la Syrie qu'Ankara a décidé de présenter ses excuses à Moscou. Ayant le sentiment d'avoir été lâché par ses alliés de l'Otan, qui collaborent ouvertement avec le PYD en Syrie, Ankara espère peut-être que Moscou cessera de soutenir les Kurdes. Reste à savoir ce que proposera Ankara en contrepartie. Bachar el-Assad pourrait ainsi être le grand gagnant d'une réconciliation russo-turque...
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qui dit que la russie vas mettre en jeu assad !?!?! n'a t elle pas un autre projet bcp plus important a sa securite propre que la syrie concernant la turquie meme ?!! car pour la russie meme une moitier de syrie mais avec un regime qui lui est acquis lui est bcp plus preferable que le tout mais avec des pb internes qui frôlent la guerre civile
23 h 07, le 28 juin 2016