Dire, c’est revivre doucement

Tous les mois, Dar Bistro & Books, petit café coloré niché au cœur de Hamra, organise une soirée de Hakayat, romanesque invitation au voyage où chacun est libre de conter une histoire personnelle. La prochaine réunion se déroulera aujourd'hui avec un thème évocateur: Partir. Partir pour ne plus revenir, pour être sûr de s'abandonner. Partir le temps d'un instant, pour l'ivresse de la fuite et le bonheur de dire qu'on s'en va.
Chaque mois, le temps d'une nuit, les poètes, rêveurs et noctambules de cette ville se retrouvent, ainsi que tous ceux qui pensent avoir une histoire à partager. La soirée commence au crépuscule ; les curieux se réunissent et le silence se fait. Les uns après les autres, se lèvent les conteurs qui s'apprêtent à offrir un morceau intime de leur vie dissociée au public. En arabe, anglais, français, les participants se grisent de leur liberté : ils ont dix minutes pour donner délicatement vie à leurs personnages, voyages et lieux, sous les yeux d'un public ivre d'images et de mots. Tous racontent: un médecin qui pleure de rien pour ne pas rire de tout; un auteur qui a plongé dans une dépression comme l'on sombre, éperdu, dans une nuit sans lune ; une Italienne qui a traversé l'Europe en voiture et qui fait défiler des paysages sauvages à travers les fenêtres de ses yeux pétillants.
Attablés, nonchalants, attentifs, les spectateurs voyagent sans décoller de leurs chaises, sans abandonner leurs verres embués, sans arrêter de respirer les volutes de leurs gitanes. Les conteurs se succèdent et ne se ressemblent pas ; on ne sait plus distinguer la part de réalité et la part de rêves dans leurs phrases à la dérive. Ceux qui jouent avec leur cœur comme ils jouent avec les mots savent que si partir, c'est mourir un peu, dire, c'est revivre doucement. Leurs mots portent plus loin que la nuit. Quant aux autres, ils se délectent de chaque mot suspendu dans l'arène des contes. Emporté par ces contes presque vécus, ces poèmes presque inventés, le public traverse minuit et s'égare dans la vingt-
cinquième heure.
Drôles et tristes, fantasques et ordinaires, toutes les histoires sont les bienvenues si leur propriétaire accepte de se lever et de faire cadeau de ses fragments précieux à ceux qui l'écoutent. À la fin de chaque soirée, les curieux s'attardent encore un peu, pour embrasser d'un dernier regard ce théâtre immobile que la parole a su animer. Le givre de leurs verres a fondu, ils se décident enfin à fendre la nuit sans étoiles pour rentrer chez eux. Les bougies disposées sur les tables du café vacillent puis s'éteignent, les unes après les autres. Il est temps pour elles de rendre leurs lumières au ciel bleu pétrole de Hamra.

* La prochaine soirée de « Hakayat » se déroulera aujourd'hui vendredi 24 juin au café Dar Bistro & Books, rue Wardieh, Hamra. Conteurs d'un soir, poètes d'une nuit et spectateurs chaleureux peuvent participer en contactant : hakayaatdar@gmail.com