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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les enjeux fondamentaux de la bataille de Manbij

Une libération de cette ville stratégique, occupée par l'EI, pourrait mettre les combattants arabes des FDS en première ligne.

Les combattants arabo-kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS) étaient aux portes de la ville stratégique de Manbij, fief de l’État islamique dans la province d’Alep. Dans cette dernière ville, au moins 40 civils ont été tués et plus de 200 blessés dans les bombardements. Photo capture d’écran

Pris en étau dans deux provinces syriennes-clés, sans oublier Fallouja en Irak, l'État islamique (EI) semblait hier dans une posture particulièrement mauvaise. Depuis plusieurs jours, en effet, le groupe fait face à la fois à l'armée du régime de Damas, ainsi qu'aux Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde, dans les provinces de Raqqa et d'Alep. Dans cette dernière d'ailleurs, les FDS n'étaient plus hier qu'à 4 ou 5 km de la ville de Manbij, appuyées par des « conseillers » militaires américains, toutefois absents du front.

L'enjeu de la prise de cette ville stratégique n'est pas des moindres. Occupée entre 2011 et 2014 par différents groupes « rebelles » armés, la ville est prise en 2014 par l'EI qui, très vite, y impose ses lois. Grâce à sa position idéale, elle sert depuis de point de ravitaillement et de trafic entre les différentes localités tenues par l'EI et la frontière turque, à une trentaine de kilomètres de la ville. L'offensive kurde actuelle vise donc d'abord à isoler l'EI de cet axe vital – une trentaine de villages autour de Manbij sont déjà aux mains des FDS – et par là à l'affaiblir, avant la prise de la ville qui semble aujourd'hui imminente.

 

(Lire aussi : Comment la coalition essaye d'étouffer un peu plus l'EI)

 

Si les Kurdes représentent une part non négligeable de la population de Manbij – ils seraient au moins 25 %–, la grande majorité de la population reste arabe sunnite. L'avancée des FDS, principalement des Kurdes, est de ce fait délicate, dans la mesure où une prise de la ville par une force non arabe ne serait pas tolérée, du moins facilement, par les habitants. Cela contribuerait inévitablement à raviver, ou nourrir des tensions historiques entre Kurdes et Arabes, entretenues entre autres par la mise en place entre fin 2013 et début 2014 du Rojava, c'est-à-dire une zone kurde autonome en Syrie. C'est pour cette raison que, selon le colonel américain Pat Ryder, du CentCom (Central Command), les combattants du Conseil militaire de Manbij, créé en avril pour organiser la reprise de la ville, sont arabes, et nombreux sont originaires de la localité.

Minoritaires au sein des FDS, ils représentent en revanche la majorité des combattants au sein du conseil : sur 3 000 combattants sur le front de Manbij, seuls quelque 450 seraient kurdes, d'après le colonel Ryder.
Toujours selon cette source, les Kurdes ont affirmé être prêts à se retirer de la ville et en laisser la gouvernance aux Arabes après sa prise à l'EI, qui a d'ailleurs durement réprimé les manifestations organisées par les habitants pour dénoncer les exactions du groupe en novembre et décembre 2015. Il faudra toutefois attendre la fin des opérations pour vérifier la sincérité de ces promesses : à Suluk, dans le Nord-Est syrien, les populations arabes sont empêchées dans la violence et depuis plusieurs jours de revenir sur leurs terres par les Kurdes, et, d'après l'ONG, « Raqqa is being slaughtered silently » (Raqqa est en train d'être massacrée en silence).

 

(Lire aussi : « Seul Moscou semble encore en mesure d'imposer un changement » en Syrie)

 

Concessions
Cette concession aux populations arabes locales contribuerait sans nul doute à également rassurer Ankara, qui refuse une zone kurde autonome à sa frontière. L'axe partant de Manbij vers la frontière turque passe par des villes et localités traditionnellement arabes et turkmènes entre les trois cantons kurdes d'Afrin, Kobané et Jazira, que les Kurdes essaient sans succès de relier depuis la création de leur Rojava. Et le leadership kurde n'a jamais caché ses ambitions d'unir ces cantons en un seul territoire, arguant dans le même temps que Manbij est une ville « historiquement » kurde, comme le rappelle le géographe spécialiste de la Syrie, Fabrice Balanche, dans un article publié par le Washington Institute*. Reste à voir si les ambitions kurdes seront reléguées à plus tard pour des raisons stratégiques pour que, plus urgemment, le combat contre l'EI soit

gagné au plus vite.

En attendant, il semblerait que la prise de Manbij porterait un coup énorme, sinon fatal, à l'État islamique en termes de richesses et d'effectifs, et aurait des répercussions sur le groupe dans tout le pays. Si l'offensive du régime et des FDS contre l'EI dans la province voisine de Raqqa se révèle fructueuse, le groupe perdra ses ancrages les plus importants en Syrie, et la prochaine étape pourra bel et bien être la capitale éponyme du groupe dans ce pays. Une victoire du Conseil militaire de Manbij consoliderait par conséquent la position des combattants arabes au sein des FDS et les placerait en première ligne pour la future reprise de localités aux mains de l'EI. Cette reconquête offrirait ainsi une alternative arabe à ce qu'offrait l'État islamique et serait mieux perçue par les populations locales que s'il s'agissait de forces « étrangères ».

* The Die Is Cast: The Kurds Cross the Euphrates, par Fabrice Balanche – Janvier 2016

 

 

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