Rechercher
Rechercher

Culture - Spectacle

Mignonne, allons voir si la rose...

Lara Kanso a planté son jardin sur la scène du théâtre Monnot*. Après l'avoir bien cultivé, elle l'a arrosé avec beaucoup d'amour. Des inégalités notables, mais de beaux instants volés à la réalité.

Roger Assaf et Sarah Wardé.

Soixante-cinq minutes de plongée en apnée dans un monde spirituel inconnu, ou juste refoulé par nous. Soixante-cinq minutes. Pas plus. Pour s'extirper du brouhaha, des cris, des mots et des images qui nous obligent à nous soumettre à un monde matériel assourdissant et abrutissant. Il aura fallu simplement soixante-cinq minutes à Lara Kanso pour inviter l'audience à pénétrer dans sa bulle contemplative.

Communion
Les chants de Daline Jabbour (Asmahan ou Oum Kalthoum), telles des prières psalmodiées, rythment l'espace ; la gestuelle de Karumi Fuchigami dessine des volutes dans l'air. L'architecture aux cercles, cubes et rectangles réguliers, d'une part, et, de l'autre, celle des tubes mous formant une sorte de branchage fou, finissent par croquer deux mondes très différents l'un de l'autre. Celui de la princesse et du jardinier. Enfin, l'éclairage de Hagop Der Ghougassian, qui nimbe la scène d'une lumière transcendante, nous met en communion avec tout d'abord notre être et ensuite le monde qui nous entoure. Comment Lara Kanso, cette passionnée des mots, qui vient en ligne directe du monde des lettres, a su donner forme à une pensée, à une vision, à un monde intérieur ? Par deux instruments essentiels : une adaptation très personnelle de la pièce Le Jardin d'amour, s'inspirant d'un grand classique du nô japonais Le Tambourin de soie de Zeami Motokiyo, et du grand poème soufi de Farîd ad-Dîn 'Attâr, La Conférence des Oiseaux.
« Je ne prétends à aucune parenté directe entre Djalâlad-Dîn Rûmi ou Farîd ad-Dîn 'Attâr mais les paroles de ces grands maîtres de l'humanité m'ont inspirée », dit la metteure en scène. C'est donc une traduction en arabe plus qu'élaborée et juste qui sous-tend la performance. Le second outil n'est autre que le grand comédien Roger Assaf, qui a su mettre au service du théâtre tout son savoir, sa modestie et sa générosité.

Minimalisme
Inspiré par le théâtre nô – uniquement pour le texte – et du soufisme pour la pensée, Le jardin d'amour s'articule sur une scénographie minimaliste, sur des chants et une gestuelle mystique, mais aussi sur un jeu tout en épure. Lara Kanso a su allier une scénographie, des costumes et un éclairage qui font écho à son texte intimiste et tellement personnel. On oubliera certaines faiblesses techniques comme les vidéos projetées dans les cercles lumineux pourtant si beaux mais parfois manquant d'ajustement. On ne s'attardera pas non plus sur la performance un peu raide de la princesse (Sarah Wardé), qui dénote avec le jeu plus vivant de la soubrette (Rozy Yazigi). Cette performance aura quelque peu dérouté le spectateur : est-ce que cette princesse est philosophe ? Un peu niaise ?
Ou simplement superficielle ? La prestation de Sarah Wardé, plutôt confuse et timide, ne tardera pas à s'étoffer à la fin de la pièce. Donc, oublié tout cela, quand apparaîtra un simple jardinier incarné par Roger Assaf.
La performance théâtrale, musicale et chorégraphiée peut ainsi se diviser en deux : avant et après l'entrée en scène du comédien. Celui-ci, tout en rectifiant le tir, donnera à la pièce toute sa tessiture et sa consistance, mais aussi la densité de la réflexion de Lara Kanso.
Les personnages simples traversent toutes les cultures. De la phrase « laissez venir à moi les petits enfants » à Forrest Gump, en passant par Mr Chance, le sage n'est jamais celui qui est assis à son bureau ou issu d'une catégorie sociale dominante. Il est celui qui regarde sa fleur pousser, qui l'arrose, la fertilise et lui indique la direction de la lumière. C'est celui qui, tout comme ce comédien qui a su se délester de tout ce qui l'a alourdi au fil du temps pour une quête de soi plus intérieure, le partage en toute générosité et en toute humilité. C'est un Roger Assaf, millésimé mais nouveau, qui transcende le texte et le porte aux nues. Pour notre grand plaisir et celui de Lara Kanso.

Soixante-cinq minutes de plongée en apnée dans un monde spirituel inconnu, ou juste refoulé par nous. Soixante-cinq minutes. Pas plus. Pour s'extirper du brouhaha, des cris, des mots et des images qui nous obligent à nous soumettre à un monde matériel assourdissant et abrutissant. Il aura fallu simplement soixante-cinq minutes à Lara Kanso pour inviter l'audience à pénétrer...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut