Comme un sentiment de déjà-vu. Un prélat accusé, une presse déchaînée, une institution ébranlée... et surtout des victimes. Le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon, est accusé d'avoir couvert des actes de pédophilie dont il aurait eu connaissance dans son diocèse. Au-delà de cette affaire, dont seule la justice maîtrise l'issue, c'est l'ensemble de la lutte de l'Église contre le fléau pédophile qui est testée. À travers les grands scandales qu'a dû affronter l'institution romaine ces dernières décennies, aux États-Unis et en Europe principalement, la lutte entre une traditionnelle culture de la discrétion et la volonté d'une tolérance zéro dessine les contours d'un combat nécessaire.
« Dans les affaires de pédophilie, il faut toujours distinguer le temps des faits du temps du déballage médiatique. Et concernant les faits, le pire est derrière l'Église », explique Christophe Dickès, historien du catholicisme et de la papauté. Ainsi, la plupart des scandales révélés aux États-Unis au début des années 2000 et en Europe depuis 2010 concernent des événements qui se sont déroulés entre les années 1960 et 1980. C'est ce qu'indique le rapport John Jay de 2004. Ce travail judiciaire, l'un des plus complets statistiquement sur les scandales américains, montre très clairement une augmentation des abus sexuels dans l'Église à partir des années 1960, avant de décliner dans les années 1980 et revenir en 1990 à son niveau de 1950.
(Lire aussi : Pédophilie : trois ans après son élection, François jugé décevant)
Sur l'ensemble de la période étudiée, 4 % des prêtres américains ont été accusés. Pour M. Dickès, « il faut se replacer dans le contexte des époques ». « Dans les années 1970, il y avait une permissivité de l'ensemble de la société à l'égard de la pédophilie, et l'Église n'en a pas été exempte. Mais ce mouvement permissif va au-delà de la question de la pédophilie : après le concile de Vatican II, on ne parle plus du péché, on ne parle plus du mal, ni de la confession », souligne l'historien.
Ce n'est qu'en 1981, trois ans après l'arrivée du pape Jean-Paul II, que le pouvoir de Rome prend le problème à bras le corps. Le cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, est chargé du dossier en tant que préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Aux États-Unis, il a face à lui des évêques qui sous-estiment gravement le problème, qui ont coutume de croire les promesses de non-récidive et qui renvoient les fautifs dans d'autres ministères. Formés par des experts dans les années 1980, les évêques américains prennent des mesures en 1992. Non contraignantes et critiquées, elles s'avèrent insuffisantes face à la vague de révélations en 2002.
(Lire aussi : "Dieu pleure" pour vous, dit le pape aux victimes de pédophiles)
Retentissante affaire Maciel
À Dallas, la même année, la Conférence épiscopale américaine durcit le ton, prend des mesures fortes et engage les laïcs dans la lutte. Si la prise en main du dossier par le cardinal Ratzinger en 1981 a sensiblement changé les choses, il n'en reste pas moins que 17 années se sont écoulées entre les premiers procès en 1985 et les mesures de Dallas, en 2002.
En cette tumultueuse fin de pontificat de Jean-Paul II (1978/2005), une affaire retentissante vient sérieusement ébranler l'image du souverain pontife polonais. Le Mexicain Marcial Maciel, père fondateur des Légionnaires du Christ en 1941, est accusé en 1998 d'actes pédophiles par deux séminaristes. L'enquête, lancée par le cardinal Ratzinger, n'est pas poursuivie pour des raisons internes au Vatican. Dès son accession au trône de saint Pierre en 2005, Benoît XVI écarte le père Maciel de tout ministère public. Pour Christophe Dickès, ce laps de temps peut s'expliquer de la manière suivante : « Jean-Paul II est polonais, il a vécu sous un régime (soviétique) qui cultivait le mensonge, qui accusait l'Église de pédophilie sans arrêt. Pétri de cette méfiance envers les accusations mensongères, le pape n'y a pas cru. Et puis les Légionnaires du Christ étaient un ordre saint, qui se développait, suscitait des vocations... Une telle double vie ne semblait pas plausible. Mais quand les doutes n'étaient plus permis, les mesures ont été prises. »
Après les États-Unis, c'est l'Europe qui est touchée par une vague de scandales en 2010. L'Irlande, où l'État confiait l'essentiel des écoles primaires et secondaires à l'Église, a vu 2 000 de ses enfants abusés par des prêtres selon le rapport Ryan en 2009. L'Allemagne, avec le scandale du collège jésuite de Berlin, la Belgique et les Pays-Bas se retrouvent également sous le feu des projecteurs.
En Europe, les réactions et sanctions ont été plus rapides qu'aux États-Unis. Des évêques ont démissionné après des révélations selon lesquelles ils ont commis des abus sexuels, et d'autres, en Irlande notamment, pour leur silence coupable. Sur l'ensemble de son pontificat (2005/2013), le pape Benoît XVI a mené une lutte contre ce fléau, le condamnant aux États-Unis en 2008, en Australie en 2009 ou encore au Portugal en 2010 où il rappelait : « Le pardon ne remplace pas la justice. »
Depuis 2013, le pape François se place dans la continuité de son prédécesseur, avec la tolérance zéro comme mot d'ordre. Cependant, les critiques sont nombreuses, décriant un écart notable entre le discours du pape argentin et les faits. En cause, la commission internationale d'experts, qui n'a qu'un rôle préventif et qui n'est pas apte à intervenir individuellement.
Le point de continuité majeur, dans ce dossier comme dans l'organisation de l'Église en général, entre les deux derniers papes, réside dans la plus grande responsabilisation des évêques. Responsables de dévoiler une vérité, quel qu'en soit le coût pour l'image de l'institution. Responsables de former les prêtres à ce danger dans les séminaires, de déceler les risques psychologiques des postulants. Mais surtout responsables d'accompagner les victimes dans leur reconstruction personnelle.
Se faisant le porte-voix des victimes, la presse réclame la vérité sur bien des affaires, oubliant parfois au passage la présomption d'innocence et les contextes culturels des époques. Mais si imparfait qu'il soit, le déballage médiatique sur l'Église permet à l'ensemble de la société de s'interroger sur ce qu'elle a été. Et en France comme dans de nombreux pays avant elle, les autres grandes institutions religieuses ou sociétales du pays vont pouvoir faire le ménage devant leur porte.
Lire aussi
Dans l’œil du cyclone, Mgr Barbarin tient bon la barre. Jusqu’à quand ?
Pédophilie : l’Église a « failli », selon l’argentier du Vatican