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Moyen Orient et Monde - Entretien express

« La posture laïcisante de l’ASL n’a pas résisté longtemps aux sirènes du confessionnalisme »

Stéphane Valter répond aux questions de « L'Orient-Le Jour » sur l'évolution des rapports entre l'ASL et le Front al-Nosra.

Des rebelles de l’Armée syrienne libre dans le quartier d’al-Achrafieh, hier à Alep. Abdelrahman Ismail/Reuters

Des affrontements entre le Front al-Nosra (el-Qaëda en Syrie) et l'Armée syrienne libre (ASL) se sont soldés hier par la capture de 40 membres de la Division-13 de l'ASL et une prise importante de matériel militaire. Cette évolution sur le terrain intervient après plusieurs mois de convergences entre les deux groupes, qui avaient conduit l'ASL à demander l'extension du cessez-le feu aux zones contrôlées par al-Nosra. Le rapprochement entre l'ASL et les jihadistes avait également conduit les États-Unis à abandonner progressivement leur soutien à la rébellion syrienne et concentrer leurs efforts sur la création des FDS (Forces démocratiques syriennes) largement dominées par les Kurdes. Stéphane Valter, maître de conférences à l'Université du Havre, ex-secrétaire de l'Institut français d'études arabes de Damas, revient dans cet entretien sur les tiraillements de l'ASL sous la pression de facteurs exogènes.

Y a-t-il un retournement de situation dans les rapports entre l'ASL et le Front al-Nosra ?

Je ne crois pas que les rapports aient changé, en dehors des évolutions conjoncturelles. L'ASL a été créée à l'origine pour défendre les civils syriens de la répression du régime. Mais vu le contexte chaotique, sa structuration n'a jamais été une réussite, et la mauvaise coordination entre ses brigades continue de dépendre de facteurs locaux. Malgré cette faiblesse organisationnelle, l'ASL a toujours été en contact avec l'opposition politique extérieure, mais comme celle-ci est aussi désunie qu'incohérente, rien d'étrange à ce que l'ASL le soit aussi. Ceci étant, le projet de l'ASL me semble entrer en opposition frontale avec celui d'al-Nosra, à l'agenda terroriste transnational. Toutefois, la posture nationale et laïcisante de cette formation, telle que voulue par ses fondateurs, n'a pas longtemps résisté aux sirènes du confessionnalisme, qui s'est vite développé en son sein, si bien que de nombreuses brigades ont adopté un discours haineux vis-à-vis des minoritaires de l'islam (et des chrétiens), rejoignant les appels à l'anathématisation lancés par al-Nosra contre les alaouites.

Pour l'ASL, la reprise des hostilités avec al-Nosra s'inscrit-elle dans une logique de survie face aux FDS perçues comme un partenaire fiable par les États-Unis ?

L'ASL reste forte de par le soutien dont elle jouit auprès d'une partie de la population. Plusieurs officiers et soldats alaouites l'ont d'ailleurs rejointe dès le début. Mais, outre les faiblesses internes évoquées, ce sont les tergiversations occidentales – soutenir sans aider – qui ne lui ont pas permis de s'affirmer plus sur le plan militaire. De plus, la préférence des investisseurs institutionnels et privés du Golfe pour des groupes armés clairement islamistes a affaibli, voire parfois phagocyté l'ASL, qui a dû adopter un discours nationalo-islamiste pour survivre, par nécessité, et aussi conviction. Ensuite, l'apparition d'al-Nosra puis de l'organisation de l'État islamique – deux groupes radicaux, violents et bien armés – a davantage amoindri l'attractivité de l'ASL. Mais toutes ces adversités, renforcées par les frappes aériennes russes, ne l'ont pas anéantie, en raison de son projet national, même si des connivences avec la haine sectaire et la brutalité paroxysmique la rapprochent parfois des desseins terroristes.

Quelle est la situation d'al-Nosra aujourd'hui ? Antagonisme avec la population locale et isolement ?
Ou mobilisation de nouvelles ressources ?

Je pense que cette annexe d'el-Qaëda bénéficie d'un soutien quand plusieurs raisons convergent : férocité de la répression du régime et faiblesse d'autres groupes armés. Si les populations locales peuvent se tourner vers al-Nosra pour se défendre, ou attaquer, il est évident que cette organisation n'est pas l'émanation du peuple (comme c'est le cas pour les groupes armés kurdes, par exemple), mais un groupe fanatique qui s'impose par la coercition. Sa vision extrêmement rigide de la charia peut plaire à quelques Syriens, mais beaucoup de civils subissent leur présence, par défaut d'alternative. Il s'agit bien du rejeton idéologique du wahhabisme, avec toute la violence d'une idée en quête d'assise étatique (le cas de l'EI est le même, avec plus de radicalité). Si le régime fait des concessions et que l'ASL « modérée » se renforce, l'avenir d'al-Nosra (et de l'EI) sera compté.


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Des affrontements entre le Front al-Nosra (el-Qaëda en Syrie) et l'Armée syrienne libre (ASL) se sont soldés hier par la capture de 40 membres de la Division-13 de l'ASL et une prise importante de matériel militaire. Cette évolution sur le terrain intervient après plusieurs mois de convergences entre les deux groupes, qui avaient conduit l'ASL à demander l'extension du cessez-le feu aux...

commentaires (2)

LORSQUE DE TOUTES PARTS ON EST ATTAQUÉ ET TUÉ PAR LES ACCESSOIRES FANATIQUES D'UNE COMMUNAUTÉ BIEN DÉFINIE... SE REPLIER SUR LA SIENNE ET SE FANATISER POUR LA DÉFENDRE SONT DU DOMAINE DES RÉACTIONS AUX ACTIONS...

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 28, le 14 mars 2016

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Commentaires (2)

  • LORSQUE DE TOUTES PARTS ON EST ATTAQUÉ ET TUÉ PAR LES ACCESSOIRES FANATIQUES D'UNE COMMUNAUTÉ BIEN DÉFINIE... SE REPLIER SUR LA SIENNE ET SE FANATISER POUR LA DÉFENDRE SONT DU DOMAINE DES RÉACTIONS AUX ACTIONS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 28, le 14 mars 2016

  • Allez, encore cinq années à ce rythme de "guerre civile", et le Grand-Liban sera enfin débarrassé de ce Pan grand-syrianisme....

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    04 h 19, le 14 mars 2016

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