L'impression générale, une semaine après la subite décision officielle saoudienne de suspendre le don de « trois milliards plus un » de dollars à l'armée libanaise, est que le Liban traverse une des plus graves crises de ces dernières années. Le plus étrange dans ce qui se passe est que la plupart des protagonistes du 14 Mars n'ont pas été informés de la décision saoudienne ni du scénario saoudien pour la prochaine étape. C'est ainsi que des ministres présents à la séance marathon de lundi confient que le Premier ministre et ses alliés politiques étaient sincèrement convaincus que le communiqué adopté finalement était de nature à satisfaire les dirigeants saoudiens, d'autant que les concertations étaient permanentes avec le chef du courant du Futur, Saad Hariri. Le texte du communiqué aurait même été envoyé à l'ambassade d'Arabie à Beyrouth avant d'être divulgué à la presse, et ceux qui l'ont lu à l'ambassade n'avaient pas formulé d'objection.
C'est donc avec surprise que les membres du gouvernement, et en particulier les ministres du courant du Futur, ont été informés du communiqué du Conseil des ministres saoudien qui a jugé l'attitude du gouvernement libanais insuffisante pour calmer la colère du royaume. Désormais, ces mêmes ministres ne se déclarent plus optimistes quant à un possible changement dans l'attitude saoudienne, et les déclarations du ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, jeudi soir, dans un entretien télévisé à la LBCI vont dans ce sens, surtout après sa fameuse phrase sur « le pire qui serait encore à venir ». Personne n'est toutefois en mesure de préciser de quoi sera fait ce « pire ». Certains parlent d'une volonté saoudienne de pousser la Ligue arabe à mettre le Hezbollah sur la liste arabe des organisations terroristes. Une telle décision exige toutefois l'unanimité des voix des pays membres de la Ligue, et cela pourrait justifier la campagne contre le ministre Gebran Bassil dans le but de le pousser à la démission. D'autres parlent d'un plan de déstabilisation du pays, dans le Nord notamment, en lâchant la bride aux fameuses « cellules takfiristes dormantes » qui se développeraient dans des environnements défavorisés, comme les camps palestiniens et ceux des réfugiés syriens dans certaines régions du pays.
Ce scénario n'est toutefois pas privilégié par une source sécuritaire qui affirme que les services libanais font leur travail avec beaucoup de sérieux et de coordination entre eux. Preuve en est qu'ils procèdent régulièrement à de nouvelles arrestations dans le but de démanteler les cellules potentielles, actives ou non. De plus, selon cette même source sécuritaire, les États-Unis et d'autres pays de la communauté internationale continuent à vouloir la stabilité du Liban. Ce n'est donc pas un hasard si, au moment où l'Arabie saoudite a annoncé le retrait du don à l'armée libanaise, les États-Unis ont annoncé l'augmentation de leur aide en équipements militaires à l'armée. Au point qu'aujourd'hui le Liban est le troisième dans la liste des pays de la région recevant une aide militaire des États-Unis. Dans le même sillage, la délégation parlementaire qui s'est rendue aux États-Unis pour discuter des contraintes américaines sur les banques libanaises a déclaré hier à la presse que les dirigeants américains ont affirmé que la stabilité sécuritaire et monétaire du Liban est une ligne rouge pour les Américains. Cette déclaration, qui pourrait être banale en temps normal, revêt une plus grande importance en cette période de tension interne et régionale.
Malgré tout, ces assurances ne parviennent pas à dissiper le malaise qui règne actuellement au Liban et qui est essentiellement dû à la crise entre ce pays et l'Arabie saoudite, sachant que la colère saoudienne ne touche pas seulement le Hezbollah et ses alliés, mais aussi le courant du Futur et ses alliés qui n'auraient pas agi avec suffisamment d'efficacité pour circonscrire l'influence de la formation chiite, accusée de déstabiliser le royaume de Bahreïn et le Yémen, en plus de sa participation aux combats en Syrie aux côtés du régime de Bachar el-Assad.
Pour certains milieux, la colère saoudienne n'est qu'un moyen de pression sur le Hezbollah et le général Aoun pour renoncer à la présidence de la République et assurer l'élection d'un autre candidat que le chef du CPL. Mais, pour d'autres, cette colère est plus importante que la présidence et elle irait jusqu'à vouloir sanctionner les Libanais qualifiés d'ingrats après toutes les aides données depuis des années par les dirigeants saoudiens. Ceux qui connaissent les Saoudiens confient que l'approche de la nouvelle équipe au pouvoir à Riyad est différente de celles qui l'ont précédée. Là où les précédents dirigeants privilégiaient les nuances et les manœuvres, et éprouvaient une certaine bienveillance sentimentale à l'égard du Liban, la nouvelle équipe est plus directe et offensive. Pour l'instant, sa colère ne semble pas devoir retomber. Et la décision de l'ambassadeur d'Iran de donner une conférence de presse à Beyrouth pour annoncer des aides aux enfants des martyrs palestiniens n'est certes pas pour arranger les choses. Le Liban est ainsi plus que jamais tiraillé entre les deux capitales régionales ennemies, Riyad et Téhéran.
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commentaires (4)
il n'ont pas fini de se mettre en colère ces cocos. Ils vont bientot fumer par les oreilles d'autant plus que leur "ami" ricain est en train de leur faire avaler la pillule amer après avoir vendu des armes que l'on ne peu utiliser contre les criminels occupants judéo-sionistes.
Ali Farhat
04 h 18, le 28 février 2016