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Culture - Festival al-Bustan

Les amants de Vérone, plutôt trois fois qu’une

Ce soir à l'église Saint-Joseph (USJ), Roméo et Juliette dans les partitions de trois compositeurs. Les feux de la passion à travers arias, duos et extraits orchestraux. Gounod, Berlioz et Prokofiev pour parler des intermittences du cœur. Rencontre avec les divas et chanteurs qui seront cette nuit les invités shakespeariens du bal des Capulet et des Montaigu.

Irina Makarova.

Ils font leurs vocalises avec application. On les entend lancer leurs trilles aiguës ou leurs tonalités caverneuses. Avant d'endosser sous les spots les personnages shakespeariens qui ont fait rêver et pleurer des générations entières. L'amour avec un grand A. Amour de la première jeunesse, innocent, entier et maladroit, qui défie le temps, la mort, fait pousser des ailes et ramène la paix aux survivants qui s'étripaient...
Par-delà la baie vitrée donnant sur le jardin de l'entrée d'al-Bustan, une bruyante kyrielle de jeunes musiciens. Des quatre coins du monde et parlant toutes les langues, comme dans une tour de Babel !
Loin du cadre idyllique de Beit-Méry se prélassant entre ses arbres et sous les nuages, Beyrouth se réveille dans la brume polluée du matin. Dans ce lobby animé flotte le parfum du café. Mais aussi les voix d'Irina Makarova (mezzo soprane), Samar Salamé (soprane), Sergey Romanovsky (ténor) et Felipe Bou (basse).
Préparatifs du chant avant une discussion à bâtons rompus pour clarifier quels masques porteront les enfants de deux illustres familles qui réussiront à enterrer la hache de guerre... Pour donner voix et corps au drame de ceux « qui ne se sont tant aimés que pour mourir », comme le chantait Isabelle Aubret, on retrouve, à part les quatre solistes, l'orchestre du Festival al-Bustan sous la houlette de maestro Gianluca Marciano, et le chœur de l'Université des antonins, dirigé par le révérend père Toufic Maatouk.
En russe guttural (elle ne parle que la langue de Tolstoï), manteau noir trois-quarts, cheveux de geai, regard de porcelaine bleu, teint d'opale, stature wagnérienne, bague d'impératrice à l'index, Irina Makarova explique à son interprète ses impressions libanaises. Un premier voyage au pays du Cèdre qu'elle juge énergisant, car il lui donne le sourire. Pour ce soir, elle sera la narratrice de cette Symphonie de Roméo et Juliette, « amants malheureux », dit-elle, « car ils ont commencé l'amour trop tôt. Il y a là des fautes de parcours et de l'immaturité... ».
Celle qui fut sur scène Dalila de Saint-Saëns, Carmen de Bizet, Amnéris, dans Aïda de Verdi et bien d'héroïnes de Tchaïkovski se sent « plus orientale et asiatique qu'occidentale » et rêve de prêter ses traits et sa voix à La Tosca de Puccini.
Une autre voix féminine, mais juste pour cinq minutes, celle de la soprane Samar Salamé qui écume bien plus les scènes libanaises que celles de l'étranger. Elle sera Stephano, le compagnon de Roméo, et chantera un air de Gounod : « Que fais-tu blanche colombe dans ce nid de vautour ? »

Éteindre la haine
Du côté des hommes, place à Sergey Romanovsky (ténor) qui sera entre Gounod et Berlioz. Pour lui, le premier matin de l'amour est pur émerveillement. Il le chante en toute vibrante allégresse. Tout comme son enthousiasme de se retrouver pour la première fois au Liban. Avec le sempiternel chapelet de louanges des étrangers : gastronomie fabuleuse – oh, ce hommos qui fait tant de victimes consentantes, et cette fois mention spéciale pour le fatté bi batenjan (vivent les aubergines...) – et les richesses d'une terre à la civilisation millénaire. Ainsi, Byblos, par-delà ses couchers de soleil, reste un moment d'éblouissement. Pour ce ténor russe qui se débrouille quand même mieux qu'Irina Makarova en anglais, de Rossini à Verdi, les rôles sont bien tissés pour sa voix. Mais il regarde, pour ses futurs projets, du côté du Faust de Gounod.
Pour l'équilibre vocal, Felipe Bou, basse catalane qui ne tarit pas d'éloge sur le berceau de la civilisation phénicienne qu'il foule pour la première fois. Avec sa barbe bien taillée, il sera le père Laurence chez Berlioz. Pour dispenser bénédiction nuptiale et sacrement de fin de vie. Voix verdienne, il fut Philippe II dans Don Carlos et Marc dans Tristan et Yseult de Wagner. Son ambition, pour l'intensité vocale, est d'être le Zaccaria de Nabucco.
Derniers souhaits avant d'offrir cette tragédie de l'amour au public ? Unanimement, les quatre chanteurs sont heureux d'être dans l'écrin d'une église. Pour la part de grandeur, de piété, de spiritualité, d'élévation et de communion que cela implique. Pour une meilleure écoute et partage de la musique. Après tout, qu'est cet absurde drame de l'amour si ce n'est la force de réconcilier les êtres et d'éteindre la haine ? Dans un triumvirat sonore à capter toutes les émotions, il y a la musique et les mots pour le dire.

Ils font leurs vocalises avec application. On les entend lancer leurs trilles aiguës ou leurs tonalités caverneuses. Avant d'endosser sous les spots les personnages shakespeariens qui ont fait rêver et pleurer des générations entières. L'amour avec un grand A. Amour de la première jeunesse, innocent, entier et maladroit, qui défie le temps, la mort, fait pousser des ailes et...

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