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À La Une - Témoignages

Déchéance de nationalité : ce qu'en pensent les Franco-Libanais

Des binationaux résidant en France expliquent à L'Orient-Le Jour comment ils se positionnent dans le débat.

Cartes nationales d'identité. Photo d'illustration. Jean-Pierre Muller/ AFP

A compter du 4 février, et dans le cadre du projet de réforme constitutionnelle voulue par le président François Hollande dans la foulée des attaques terroristes du 13 novembre à Paris, l'Assemblée nationale française sera appelée à se prononcer sur l'élargissement de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français et condamnés pour crimes terroristes. Jusqu'à présent, cette disposition ne concernait que les binationaux naturalisés Français, c'est-à-dire les personnes n'ayant pas obtenu la nationalité française à leur naissance.

Cette mesure controversée pose des questions d'ordre juridique, notamment en raison de la rupture d'égalité que cette disposition induit entre les binationaux et les personnes qui ne possèdent que la nationalité française. Après l'avoir envisagé pendant un temps, le gouvernement a exclu d'étendre la mesure à tous les Français, afin de ne pas créer d'apatrides ce qui contreviendrait à certains traités internationaux signés par la France.

Cette mesure suscite également des remous d'ordre politique, aussi bien à droite qu'à gauche. Portée par l'exécutif dans un souci d'unité nationale, la disposition de la déchéance de la nationalité emprunte à une proposition à l'origine portée à droite, voire à l'extrême droite. Le gouvernement peine à convaincre son camp du bien-fondé de cette mesure et plusieurs ténors de la gauche, dont la ministre de la Justice, Christiane Taubira, se sont prononcés contre cette mesure. De son côté, le parti Les Républicains s'est prononcé en faveur de la déchéance de la nationalité "sous certaines conditions", tout en se déclarant opposé à son extension à tous les Français.

Selon les derniers chiffres publiés en 2012 par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), la France métropolitaine compte 36.000 personnes nées au Liban ainsi que 10.500 enfants de moins de 18 ans nés en France et ayant au moins l'un de ses deux parents  d'origine libanaise. Comment donc les Franco-Libanais, qui font partie des trois millions de binationaux résidant en France, se positionnent-ils dans ce débat ? L'Orient-Le Jour a interrogé quelques binationaux d'origine libanaise sur cette question.

Un principe plébiscité
La quasi-totalité des personnes interrogées se dit favorable à la déchéance de nationalité pour les individus condamnées pour terrorisme. "Avoir la nationalité française est un honneur qui implique des droits et des devoirs", estime Christine, une éducatrice de 35 ans, habitant en banlieue parisienne. "La démarche terroriste est totalement contraire à toutes nos valeurs en France. Binationaux ou pas, ces personnes ne méritent pas de rester françaises", déclare-t-elle.

"En s'engageant dans la voie du terrorisme, ces Français ont décidé par eux-mêmes de rompre leurs liens avec la France", estime de son côté Robert, un ingénieur de 32 ans, né à Beyrouth et installé en France depuis dix ans. "Leur retirer la nationalité française n'est qu'un juste retour des choses", poursuit-il. "L'Etat français doit frapper fort contre ces ennemis de la nation", renchérit Wissam, un étudiant de 26 ans résidant près de Lyon. "La déchéance de nationalité constitue l'un de ces outils", estime-t-il.
Ces avis reflètent l'état de l'opinion en France. Selon un sondage rendu public le 10 janvier dernier, 74% des Français sont favorables à cette mesure.

L'apatridie divise
En outre, 66% des personnes interrogées pour ce sondage soutiennent une déchéance de nationalité étendue à tous les Français condamnés pour des actes de terrorisme. Or, après l'avoir envisagé pendant un temps, le gouvernement a fini par exclure toute possibilité d'étendre la mesure aux "mononationaux" français. Cette décision divise les personnes interviewées par L'Orient-Le Jour, qui réclament un traitement égalitaire.

"Le traitement doit être le même pour tous", estime Christine qui craint que "les maghrébins soient pointés du doigt". "Une fois que l'on est français, on l'est au même niveau qu'une personne qui a eu la chance de l'être d'office. Il ne doit pas y avoir de justice à deux vitesses", estime-t-elle, proposant de "durcir les critères d'obtention de la nationalité française". "Pourquoi créer une inégalité entre les Français ?", s'interroge également Robert. "L'apatridie me semble être une sanction équitable pour les terroristes qui ont profité d'un passeport pour toucher des allocations et voyager", tranche-t-il.

Benoît, un Franco-Libanais travaillant dans le domaine de l'immobilier, a un avis plus nuancé. "Créer des apatrides rappelle les mauvaises heures de l'histoire de France (en référence au général de Gaulle, déchu de sa nationalité par le régime de Vichy, ndlr). Même pour sanctionner, un État ne peut pas faire preuve d'autant d'inhumanité", souligne-t-il.

L'article 25 du Code civil autorise la déchéance des binationaux condamnés pour divers crimes, dont le "terrorisme", s'ils ont acquis la nationalité française depuis moins de 15 ans. Un autre article (23-7) l'envisage en revanche pour tout Français binational qui "se comporte en fait comme le national d'un pays étranger". Aujourd'hui, le débat porte donc sur l'extension aux coupables de crimes terroristes.

Inefficace mais symbolique
Les personnes interrogées voient toutes le débat sur la déchéance de la nationalité comme un détournement politique qui ne s'attaque pas à l'essence du problème. Elles estiment la mesure inefficace quant à la lutte contre le terrorisme, mais susceptible de constituer une sanction symbolique.
"Il faut que les responsables politiques commencent à se préoccuper des jeunes, du chômage, des programmes d'enseignement inadaptés et de la fermeture des mosquées salafistes", estime Christine qui appelle par ailleurs à "un changement de la politique extérieure de la France".

Doriane, une étudiante franco-libanaise résidant dans la région de Lille, partage le même avis. Nettement opposée à la mesure de la déchéance de nationalité qu'elle voit comme "une perte de temps" mais dont elle reconnaît le "sens symbolique", elle dénonce "un coup électoral" qui "détourne l'attention des vrais problèmes".

La majorité des Franco-Libanais interrogés ne se sentent pas particulièrement visés par cette mesure. "Ce sont les terroristes qui sont visés, pas les binationaux", rappelle Wissam. "Moi, je n'ai rien à me reprocher", assure de son côté Pierre, installé à Paris depuis plus de vingt ans. En tant que Franco-Libanais, je ne me sens en aucune manière visé".

De ce fait, ces personnes ne voient pas dans l'extension de la déchéance de nationalité une menace pour leur double appartenance. "Je suis aussi fier d'être Français que Libanais. Si jamais le Front national arrivait au pouvoir et deviendrait alors en mesure de supprimer la binationalité, je me poserais la question, conclut Pierre. Mais d'ici là, non, je ne me sens pas vraiment menacé".

Doriane a, par contre, le sentiment d'être affectée par cette mesure. "On entend souvent des réflexions du type: 'de toute façon, tu n'es pas vraiment libanais, tu ne vis pas au Liban...' Cette vision occulte la richesse qu'est cette double nationalité. Pour moi, une nationalité ne se vit pas à 50%, il n'y a pas de jauge, je suis 100% française et 100% libanaise".
Et de poursuivre : "Après l'attentat contre Charlie Hebdo (le 7 janvier 2015, ndlr), j'ai entendu des choses réellement méchantes à l'université, des personnes que je considérais comme des amis insultaient les "Arabes", parlaient d'un nettoyage qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai dû expliquer qu'au Moyen-Orient, il y avait une diversité culturelle et religieuse... je ne compte même plus!

 

*Les personnes interviewées n'ont pas souhaité donner leur nom de famille.

 

A compter du 4 février, et dans le cadre du projet de réforme constitutionnelle voulue par le président François Hollande dans la foulée des attaques terroristes du 13 novembre à Paris, l'Assemblée nationale française sera appelée à se prononcer sur l'élargissement de la déchéance de nationalité aux binationaux nés Français et condamnés pour crimes terroristes. Jusqu'à présent,...

commentaires (6)

"Après l'attentat contre Charlie Hebdo, j'ai entendu des choses réellement méchantes des personnes que je considérais comme des amis insultaient les "Arabes", parlaient d'un nettoyage. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai dû expliquer qu'au Moyen-Orient, il y avait une diversité culturelle et religieuse !" ! C'étaient qui ces "insulteurs" ? Encore des Libanais(h) ?

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

08 h 56, le 28 janvier 2016

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Commentaires (6)

  • "Après l'attentat contre Charlie Hebdo, j'ai entendu des choses réellement méchantes des personnes que je considérais comme des amis insultaient les "Arabes", parlaient d'un nettoyage. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai dû expliquer qu'au Moyen-Orient, il y avait une diversité culturelle et religieuse !" ! C'étaient qui ces "insulteurs" ? Encore des Libanais(h) ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 56, le 28 janvier 2016

  • Une selection s'impose....

    Soeur Yvette

    12 h 07, le 27 janvier 2016

  • Les incarcérés pour des raisons d'activité liés au terrorisme doivent croupir en prison sans aucune chance de libération. Ils n'auront pas besoin de nationalité. Alors oui,la déchéance de nationalité doit s.appliquer à tous.

    El Khoury,ziad

    20 h 24, le 20 janvier 2016

  • Oui tout simplement l'Etat français doit frapper fort contre les ennemis de la nation et aux terroristes surtout leur retirer la nationalité française .

    Sabbagha Antoine

    22 h 40, le 19 janvier 2016

  • Je dirai même aux binationaux fortunés que c'est une aubaine à saisir pour échapper au fisc dévastateur des lois françaises. Dommage vous n'êtes pas tombé sur un de ceux là .

    FRIK-A-FRAK

    15 h 35, le 19 janvier 2016

  • C'est de l'enfumage socialiste pour gogos ...un djihadiste kamikaze français , n'a rien a fiche de perdre la nationalité...! par contre en amont...l'obtention de la nationalité française était tros facile ...et c'est la qu'il faut mettre un stop...!

    M.V.

    15 h 34, le 19 janvier 2016

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