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Lifestyle - Tous les chats sont gris

Et en passant, merci Feyrouz...

Déjà (enfin !) l'année tire à sa fin. Quoique souvent hystériques et embouteillées, les dernières nuits de décembre réussissent quand même à tout enduire de magie enguirlandée...

Photo GK.

La revoilà, la seconde quinzaine de décembre, derniers bâillements essoufflés de 2015. Crevée, elle tire des fils de l'an écoulé, comme lorsqu'on débarrasse un long banquet de ses fonds de verre en hésitant entre nostalgie suave et bon débarras. Exercice de saison aussi fatal pour l'estomac et les hanches que le retour du marron glacé de mélancolie et la dinde farcie de spleen, le syndrome du bilan de fin d'année nous gangrène. Surtout que 2015 n'avait rien d'une déliquescente friandise, et c'est un euphémisme. Cela dit, en cette période de nativité et de divin(s) enfant(s), au lieu de ressasser ce qui est déjà mort et ce qui va bientôt naître au cœur du désastre, nous vivons différemment les menaces futuristes et les angoisses mécaniques des bords de crise. Affaire de caractère, de nature. Alors, à la manière de cette femme qui se pare la façade pour dissimuler son cœur gruyère, qui danse et boit pour oublier, les nuits de fête sont une occasion pour Beyrouth de tourner la page 2015 avec des doigts de gamins, collants de sucre glace.

 

Revoilà le sapin nain
La ville en entier devient particulièrement audacieuse. Éclairer la nuit d'un projet fou d'insomniaque : chasser les ténèbres, ces grandes paupières closes, avec les moyens du bord, quitte à se couvrir du ridicule des âmes simples. Vêtus de la naïve houppelande du envers et contre tout, nous jouons les petits ânes gris, adorables bêtes obstinées et jusqu'au-boutistes, qui font semblant de ne pas voir ou comprendre les problèmes qui les entourent. Et tout le monde s'y met. Les petites échoppes ont ressuscité d'une mort à la naphtaline leurs guirlandes lumineuses édentées qui claironnent inlassablement un Tino Rossi tout pailleté de ringardise. Même croulant sous le poids de leurs 50 % et autres Occasions et Liquidations, les commerces ont tenu à garder leurs vitrines éclairées toute la nuit durant, de leurs loupiotes d'un kitsch rassurant. La concierge de l'immeuble a fièrement (re)monté ce même sapin nain aux branches en bataille, à l'étoile déchue et aux ornements qui foutent les boules. Ses lampions couleur arc-en-ciel illumineront les fins de nuit des danseurs de bals revenus, pour les fêtes, des pays où la seule chose qui manque est un plat de waraa' enab.

 

Remplir les bonbonnières
Ces oiseaux migrateurs nous tombent dans les bras en marins rescapés, en cavaliers fourbus. Leurs corps sont glorieux, leur fatigue somptueuse, mais ils sont dopés à l'adrénaline et cela fait voir le pays avec une fraternité neuve, avec une bienveillance surpuissante. Ils tenaient à installer l'arbre de Noël, enlacer ces clapotis de mémoire et plier le genou devant boules, chaussons, crèche et traîneaux. Alors nous les avons attendus pour. Ils avaient envie de dîner à la cuisine, dans ce cocon où se blottissent leurs estomacs nourris aux conserves et surgelés. Alors nous avons pris soin de dresser la table, saturer les marmites, et avec elles les bonbonnières, de ces montagnes de pralinés, de truffes, d'orangettes, de ganaches dans leurs ballotins enrubannés. Lassitude ou impatience, ils ont ensuite voulu aller « faire la fête, découvrir les nouveaux endroits ». Alors, nous avons obtempéré. Et soudain, à travers leurs yeux, les bouchées sont doubles, les bottes de sept lieux et la nuit rosie, baromètre sur grand beau. Grâce à eux, nous laissons sur le flanc nos routines et nos renoncements, remettons d'aplomb nos nuits pailletées, nos soirs acharnés et nos fêtes alcoolisées.

 

Naufragés des autoroutes
Exaltés quoi qu'époumonés, ces expats ne font que corroborer l'appel unanime à l'hystérie et à la course. Celui de boutiques, restaurants et (plus que jamais) galeries qui poussent comme des champignons par on ne sait quel miracle, dans un pays qu'on dit en crise. Ces établissements qui nous harcèlent à coups de textos, WhatsApp et invitations Facebook, ayant tous le même « plaisir de vous convier » à leurs vernissages et autres pop-up qui ne font que pomper l'air. Mais pas moyen d'y couper. Alors nous devenons, dans ces nuits de fin décembre, des galériens des transports, naufragés des autoroutes, se cognant à chaque coin de rue au gros barbu. Vous savez, cette maléfique production capitaliste née au fin fond d'une usine de sodas et qu'on a baptisée Santa Claus.
Cependant, il suffira d'un passage nocturne chez le fidèle épicier du coin avec son vieux transistor d'où s'échappe la voix sépia de Feyrouz – pour une fois – toute guillerette en cette Laylet Eid. Ne ricanez pas : c'est inexplicable, mais à ce moment, l'esprit ne se mettra plus à convulser, mais à s'illuminer de mille couleurs, chaque neurone comme la loupiote aveuglante d'une féerique guirlande. On appelle ça la magie de Noël.

 

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La revoilà, la seconde quinzaine de décembre, derniers bâillements essoufflés de 2015. Crevée, elle tire des fils de l'an écoulé, comme lorsqu'on débarrasse un long banquet de ses fonds de verre en hésitant entre nostalgie suave et bon débarras. Exercice de saison aussi fatal pour l'estomac et les hanches que le retour du marron glacé de mélancolie et la dinde farcie de spleen, le...
commentaires (2)

Le Liban vit chaque à chaque fois l'enchantement et le miracle de Noel....

Nadine Naccache

09 h 26, le 20 décembre 2015

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Commentaires (2)

  • Le Liban vit chaque à chaque fois l'enchantement et le miracle de Noel....

    Nadine Naccache

    09 h 26, le 20 décembre 2015

  • Dès que je suis arrivé à la ligne "Ces oiseaux migrateurs nous tombent dans les bras.." j'ai sursauté comme un cabri. J'ai aussitôt pensé aux cigognes abattues par les kalachnikovs, aux alouettes chassées par centaines de milliers à la Békaa par des fusils calibre-12, aux milliers de chardonnerets piégés par la glu... Pauvres oiseaux migrateurs !

    Un Libanais

    14 h 24, le 19 décembre 2015

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