Les princes Mohammad ben Salmane et Mohammad ben Nayef, respectivement les nouveaux numéros trois et deux du régime. Archives AFP
L'Arabie saoudite peut-elle encore se targuer d'avoir un rôle stabilisateur au Moyen-Orient ? À en croire les services de renseignements extérieurs allemands (BND), la réponse est négative. Dans un rapport intitulé « Saudi Arabia : A Sunni Regional Power Torn Between a Paradigm Shift in Foreign Policy and Domestic Power Consolidation », relayé par la presse allemande mercredi dernier, le BND critique fortement le pays du Golfe en affirmant que ce dernier tente de déstabiliser le Moyen-Orient avec des guerres par procuration au Yémen et ailleurs dans la région. L'agence critique plus particulièrement « la politique d'intervention impulsive » de la famille royale saoudienne, tranchant avec « l'attitude diplomatique jusqu'ici prudente » des plus anciens dirigeants du royaume. Contacté par L'Orient-Le Jour, le BND n'a pas souhaité s'exprimer à ce sujet.
Le gouvernement allemand a de son côté réagi hier en se désolidarisant de l'avis de son agence de renseignements : « L'opinion du BND qui a été publiée ne reflète pas » la position du gouvernement, a expliqué le porte-parole du gouvernement allemand Steffan Seibert. Celui-ci souligne par ailleurs « l'importance » du rôle joué par l'Arabie saoudite dans les efforts déployés pour mettre fin à la guerre civile qui ravage la Syrie.
Pour Alain Chouet, ancien chef du service de renseignements de sécurité à la DGSE, ce que le rapport de la BND met en avant « n'est pas une découverte ». « Tout le monde est au courant, mais jusqu'à présent personne ne voulait rien dire, pour différentes raisons, politiques ou économiques, affirme-t-il. Il a dû y avoir un gros mouvement d'embarras entre différents centres de décision », indique-t-il. L'Allemagne, « par solidarité avec les États-Unis, doit montrer une certaine réserve », même si ce n'est un secret pour personne que le pays est « plutôt tourné vers l'Iran, vers le Hezbollah, et même vers le gouvernement syrien actuel », poursuit-il.
(Lire aussi : Les opposants au régime syrien vont chercher à unifier leur position à Riyad)
Vague de critiques
Ce nouveau rapport vient s'ajouter à la vague de critiques qui ciblent le royaume saoudien depuis les attentats de Paris du 13 novembre dernier. Comme au lendemain du 11-Septembre, le rôle ambigu du royaume wahhabite vis-à-vis des mouvements jihadistes est pointé du doigt. L'image du royaume semble de plus en plus décrédibilisée sur la scène internationale, non seulement pour sa doctrine wahhabite, mais aussi, fait nouveau, du fait de sa politique étrangère, « jugée déstabilisatrice ».
« Cela est assez paradoxal car jusque-là, traditionnellement, le royaume entendait incarner un pole de stabilité dans la région », rappelle David Rigoulet-Roze, chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique (Ifas). Ce rôle était d'ailleurs « inhérent à sa culture interne ultraconservatrice », car « à partir du moment où on est conservateur, on est a priori rétif à tout ce qui est mutation », poursuit-il.
Ce virage, perceptible depuis le déclenchement des printemps arabes, semble s'être largement accéléré depuis l'accession au pouvoir du roi Salmane. Si le royaume saoudien était déjà le fer de lance de la contre-révolution durant le règne du roi Abdallah, son frère marque une certaine rupture avec la politique traditionnelle du royaume. « Depuis l'avènement du nouveau roi Salmane, il y a un changement manifeste, à la fois en termes d'image, une Arabie à contre-emploi d'une certaine manière par rapport à ce à quoi elle nous avait habitués, mais il y a un changement de politique aussi, car la stratégie a changé », explique M. Rigoulet-Roze. Il s'agirait d'une politique « erratique qui pourrait être perçue aujourd'hui comme déstabilisatrice par rapport à la posture de ces dernières décennies ». Le chercheur explique cette rupture par une « obsession envers l'Iran ». « Il faut lire toute la stratégie saoudienne à l'aune de cette obsession de l'Iran, de cette idée d'un syndrome obsidional saoudien. Avant, c'était plutôt l'Iran qui se sentait encerclé, aujourd'hui, paradoxalement, c'est l'Arabie saoudite », poursuit M. Rigoulet-Roze.
(Lire aussi : L'Arabie saoudite et l'emprise iranienne sur le pouvoir syrien)
Clan divisé
Ce changement perceptible n'est pas sans lien avec les perturbations à l'intérieur du royaume, jalonné par les rivalités au sein de la famille royale. Propulsé à 30 ans à peine dans l'arène du pouvoir, Mohammad ben Salmane, fils du roi et vice-prince héritier, cumule les postes : celui de ministre de la Défense, puis de vice-prince héritier, et enfin président du Conseil économique et de développement. « Le prince est en train de cumuler les postes de manière assez inédite, car normalement, il y a une notion de partage au niveau du pouvoir et là, manifestement, les clans saoudiens se sentent de plus en plus brimés par la monopolisation du pouvoir », explique le chercheur.
Mohammad ben Salmane est décrit, selon M. Rigoulet-Roze, comme quelqu'un « d'impulsif ». Alors que son cousin et prince héritier, Mohammad ben Nayef, semble être « l'homme le plus crédible sur l'échiquier du pouvoir, notamment pour les Américains ». L'intervention au Yémen, à l'instigation du ministre de la Défense, a notamment été fortement critiquée par la famille royale. « Nombre de princes en interne était en désaccord avec cette intervention. » Le chef de la garde nationale, le prince Mutaïb ben Abdallah, s'est retrouvé « marginalisé », car il « était en désaccord avec cette opération ».
Selon M. Rigoulet-Roze, le prince « ben Salmane entendait montrer que, comme il y a la perception d'un désengagement américain, c'était le moment de dire que l'Arabie saoudite n'a pas forcément besoin des États-Unis ».
Le royaume wahhabite poursuit son propre agenda et procède à « une autonomisation de sa stratégie ». « Les États-Unis ont été mis devant le fait accompli. Il n'y a pas eu de remise en cause formelle, mais les Américains n'étaient pas d'accord au sujet de l'intervention au Yémen », conclut M. Rigoulet-Roze. Autrement dit, le royaume est amené à jouer le rôle de gendarme régional. Mais cette nouvelle politique de « guerre du prince », comme le rappelle l'agence de renseignements allemande, est déjà ruineuse pour l'Arabie saoudite, qui va annoncer un déficit de 120 milliards de dollars pour cette année.
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commentaires (7)
Trop de "spécialistes et d'experts" s'en mêlent.... les pinceaux !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
10 h 29, le 06 décembre 2015