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Liban - Conférence au musée de l’AUB

En Syrie, c’est l’EI qui livre les permis de fouilles archéologiques

Les pièces volées dans les musées ou illégalement exhumées en Syrie transitent essentiellement par la Turquie – et non par le Liban – et trouvent preneurs dans les pays du Golfe, en Europe et en Israël, a expliqué Michel Maqdessi au cours d'une conférence au musée de l'AUB.

Krak des chevaliers : bombardement d’une tour. Photos APSA

Lors de sa conférence donnée au musée de l'AUB sur le sujet « De la destruction à la reconstruction du patrimoine syrien », Michel Maqdissi, ancien responsable des fouilles et études archéologiques et ex-directeur adjoint pour les affaires scientifiques à la Direction générale des antiquités et des musées (DGAM) de Syrie, a fait le point sur l'ampleur des destructions subies par le patrimoine syrien, ainsi que sur les excavations illégales, les pillages, le saccage des musées et le trafic des biens culturels. En installant leur arsenal militaire dans des monuments historiques, dans des musées, des lieux de culte et des tells, les armées de tout bord ont contribué à la destruction massive du patrimoine syrien. Maqdissi affirme même que le régime syrien a « négligé de protéger les sites historiques et les biens culturels », et « a même participé aux exactions ». Pour ne donner qu'un seul exemple, il rappelle le récent bombardement du musée régional de Maaret el-Nu'man qui abritait « les fameuses mosaïques de l'Apamée et de l'Antiochène ».

Les sites parsemés de cratères
S'appuyant sur les clichés et les rapports détaillés sur l'état des sites et des vestiges, publiés sur le site électronique de l'APSA (Association pour la protection de l'archéologie syrienne), le conférencier a indiqué que trente tonnes d'explosifs ont été utilisés pour détruire la cité antique de Palmyre. Les ornements architecturaux de la galerie qui longe la salle d'apparat du krak des Chevaliers ont été entièrement dévastés. Toute trace des villes mortes du nord de la Syrie est presque effacée par les bombardements. Un monastère syriaque du Ve siècle a été démoli ; une mosquée datant de l'époque omeyyade a été détruite. Les tells, ces collines artificielles formées par diverses couches de civilisations, ont été dynamitées. La vingtaine d'images qui ont rythmé son intervention illustrent « le gigantesque génocide culturel et une destruction intentionnelle de l'identité culturelle », a dit Maqdissi.


(Pour mémoire : Pour sauver le patrimoine culturel de la Syrie...)

 

Trafic illicite ? Tout transite par la Turquie
L'EI ne rase pas tous les vestiges archéologiques. Il les rafle pour se livrer à un important trafic marchand d'objets qui renflouent ses caisses. De même, il organise les excavations archéologiques en recrutant ses propres archéologues ou en livrant des permis de fouilles, prélevant une taxe de 30 à 40 % sur la vente des objets. Et comme ces derniers sont exhumés « avec soin », on suppose que les ouvriers actifs sur le terrain avaient travaillé avant la guerre avec des missions archéologiques. Ils connaissent donc leur métier ! Ainsi, des sites qui figurent parmi les joyaux de l'archéologie syrienne et du patrimoine mondial, comme Apamée (à la recherche des mosaïques), Doura Europas, Ebla, subissent un pillage « à l'échelle industrielle ». Au moins 3 500 fouilles ont été enregistrées à Mari sur l'Euphrate, selon le conférencier. Des images satellitaires montrent les lieux dévastés, littéralement parsemés de tranchées et de cratères.
Les pièces volées dans les musées ou illégalement déterrées transitent essentiellement par la Turquie, selon Michel Maqdessi, et trouvent preneurs dans les pays du Golfe, en Europe et en Israël. N'ayant pas fait l'objet d'un inventaire précis et documenté, et n'ayant pas été intégrées à la base de données de la DGAM, il serait quasiment impossible d'assurer leur traçabilité, explique l'ancien responsable à la DGAM, ajoutant que certains joyaux antiques peuvent dormir dans les dépôts pendant plusieurs années avant de réapparaître sur le marché, dotés de faux documents d'authentification. Il indique, d'autre part, qu'un grand nombre de tablettes cunéiformes et d'objets détenus par la Jordanie sont en attente d'être restitués à la Syrie. « Le contrôle qu'exerce le régime syrien sur sa frontière avec le Liban a découragé la contrebande vers ce pays », souligne, d'autre part, le conférencier. Reste que la zone montagneuse est poreuse !


(Pour memoire : Pillage archéologique à l'échelle "industrielle" en Syrie)

 

Rivalités des institutions
Par ailleurs, Michel Maqdessi a mis en exergue « la faible efficacité », « la concurrence » et le « manque total de coordination » entre les diverses organisations nationales et internationales, notamment l'Unesco, l'Icomos (qui se consacre à la conservation et à la protection des monuments et des sites du patrimoine culturel), l'Icom (communauté muséale mondiale), l'APSA, the Heritage for Peace, qui ont mené à une « absence notoire de politique claire et inclusive (...), à l'instar de ce qui s'est passé jadis en Afghanistan, au Mali et en Irak », a-t-il dit avant de lancer un appel aux archéologues syriens. Divisés en deux camps, pro-opposition et prorégime, il invite ces derniers à oublier leurs clivages afin de préparer ensemble la période postconflit. « Aujourd'hui, la situation exige notre solidarité et notre cohésion pour surmonter la catastrophe (...). Sauver cette archéologie par notre savoir-faire, notre ouverture et notre engagement pour mener avec succès la période paradoxalement la plus dangereuse pour le patrimoine : l'arrêt des conflits. Si cette période n'est pas préparée sérieusement en dégageant une politique et une hiérarchie des interventions, notamment par un programme de fouilles de sauvetage systématique dans les espaces urbains, le très riche patrimoine syrien sera à jamais perdu. »

 

(Lire aussi : L'EI n'est pas le seul à piller l'héritage archéologique de la Syrie)

 

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Michel Maqdessi, de l'Université de Damas à l'USJ

Détenteur d'un doctorat en archéologie orientale, de la Sorbonne, Michel Maqdessi était responsable des fouilles et études archéologiques ainsi que directeur adjoint pour les affaires scientifiques à la Direction générale des antiquités et des musées (DGAM) de Syrie. Il a été chargé de cours en archéologie orientale à l'Université de Damas, puis à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. Il est aujourd'hui chercheur au Musée du Louvre, où il travaille sur les archives du comte du Mesnil de Buisson sur Qatna, capitale d'un royaume qui fut l'un des plus importants de la région dans la première moitié du IIe millénaire avant notre ère. Qatna, située à 200 km au nord de Damas, sur le site de Tell Mishrife, avait été découverte, au début des années 2000, par une équipe germano-syrienne. D'une superficie d'environ 1 km², l'antique cité-État a dévoilé un palais, des bijoux, des statues, des tablettes et une fabuleuse tombe royale avec tout son mobilier funéraire. Plusieurs dynasties de rois s'y étaient succédé pendant presque mille ans, développant une culture raffinée, un artisanat, et utilisant l'écriture cunéiforme. Michel Maqdessi est l'auteur d'une cinquantaine d'articles scientifiques et archéologiques publiés dans des revues spécialisés ainsi que de sept ouvrages de synthèse sur l'archéologie syrienne, publiés à Paris, Damas et Beyrouth.

 

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