« Patriot Act » à la française ou rationalisation de la lutte antiterroriste ? L'annonce par François Hollande d'une modification de la Constitution, assortie de nouvelles mesures répressives, était accueillie hier avec prudence par juristes et magistrats.
Trois jours après les pires attentats commis en France, le président a demandé lundi une prolongation de trois mois de l'état d'urgence, la dissolution des mosquées extrémistes, un élargissement des conditions de déchéance de la nationalité. Alors que le quotidien Le Monde titrait, mardi, « Le virage sécuritaire de Hollande », le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) s'est immédiatement « inquiété » d'une « suspension – même temporaire – de l'État de droit », relevant que l'état d'urgence permet des perquisitions jour et nuit sans l'aval d'un juge, des assignations à résidence et autres privations de liberté sans encadrement judiciaire. « Quand, face à une menace permanente, on prend des décisions qui tendent à pérenniser l'exceptionnel, ce n'est jamais bon pour la démocratie », a affirmé à l'AFP le juriste Serge Slama. L'ancien juge antiterroriste Marc Trevidic a aussi émis des réserves sur le recours à l'état d'urgence, qui « ne peut avoir qu'un temps » et avec lequel « on rentre dans l'inconnu ». Dans un entretien à Sud-Ouest, il a rappelé que deux pays avaient, par le passé, voté des lois permettant d'incarcérer des étrangers suspectés de terrorisme sans intervention d'un juge : le Royaume-Uni en 2000, avant d'y renoncer quatre ans plus tard, et les États-Unis avec Guantanamo : « Quatorze ans plus tard, ils ont toujours Guantanamo sur les bras. »
( Lire aussi : Attentats de Paris : Quand deux Français endeuillés s'adressent directement à l'EI )
« Inimaginable »
Pour Didier Maus, professeur de droit constitutionnel à l'Université d'Aix-Marseille, « on est encore très loin du "Patriot Act" (adopté après les attentats du 11 septembre 2001) : les Américains avaient créé une zone de non-droit qui est inimaginable en France ». « Une loi de ce type serait immédiatement sanctionnée par le Conseil constitutionnel et aussi au niveau européen : la Convention européenne des droits de l'homme impose que toute personne arrêtée soit jugée, d'abord sur sa détention puis sur le fond », a-t-il expliqué à l'AFP.
Au-delà de l'état d'urgence, François Hollande veut aller plus loin, souhaitant, « face à un adversaire nouveau », « un régime constitutionnel permettant de gérer l'état de crise ». Il veut pour cela s'attaquer à l'article 16 de la Constitution (de 1958), qui permet l'attribution de pouvoirs d'exception au président, à l'article 36, qui porte sur l'état de siège (héritage d'une loi de 1849) – deux textes « pas adaptés à la situation » actuelle – et introduire dans la Loi fondamentale l'état d'urgence, régi par une loi de 1955. « Il s'agit de dépoussiérer de vieux textes, d'adapter la loi de 1955, prise dans le contexte d'une guerre coloniale (la guerre d'Algérie), ce qui est une bonne chose », pour Didier Maus, qui estime que, dans le contexte actuel, la révision « passera sans accroc ». Un avis partagé par Serge Slama, qui rappelle que « la loi de 1955 permet par exemple un contrôle des médias, qui n'a pas lieu d'être aujourd'hui », et qu'il serait bon d'adosser l'état d'urgence à la Constitution pour mieux l'encadrer : « On pourrait imaginer un état d'urgence gradué, sur le modèle de Vigipirate, comme dans la Constitution espagnole. »
Les magistrats sont, eux, beaucoup plus réservés face à la perspective d'une révision du « texte sacré », alors que la France n'a cessé de durcir sa législation ces dernières années : lors des attentats de 1995, après le 11 septembre 2001 et jusqu'aux lois votées après l'attaque contre Charlie Hebdo en janvier. « L'arsenal répressif existant nous paraît suffisant. La loi sur le renseignement, en particulier, est allée très loin, facilitant les écoutes, la géolocalisation », a estimé Céline Parisot, secrétaire générale de l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire). Pour Serge Slama, « on n'a pas encore franchi la ligne rouge en termes de privation des libertés publiques. Mais si demain, comme le préconisent une partie de la droite et de l'extrême droite, on autorisait la rétention ou l'assignation à résidence de personnes fichées pour radicalisme, c'est-à-dire qu'on interne "par précaution" avant même la commission du crime, on aurait notre Guantanamo ».
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commentaires (3)
En effet ! En plus d'être un cadeau pour Le Pen.
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
17 h 44, le 18 novembre 2015