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Culture - Mécénat

« Face à l’intolérance et à l’extrémisme, investissons dans la créativité et la diversité »

Le Fonds arabe pour les arts et la culture (Afac) a octroyé en huit années plus de 800 bourses en musique, littérature, arts visuels, théâtre, danse et cinéma. Pour Oussama Rifahi, directeur de l'organisation, la culture est l'outil de choix pour contrer les problèmes sociaux et politiques.

Oussama Rifahi, directeur exécutif d’Afac.

Sous nos cieux, l'aide publique aux arts et à la culture manque souvent, et terriblement, à l'appel. C'est justement pour combler cette lacune que le Fonds arabe pour les arts et la culture (Afac) a été créé en 2007. Une initiative arabe indépendante lancée par des lobbyistes culturels locaux, dont l'ancien ministre de la Culture Ghassan Salamé, président actuel d'Afac, avec le soutien d'un groupe de donateurs internationaux. Son directeur exécutif, Oussama Rifahi, revient sur le bilan de neuf années d'une organisation œuvrant avec modestie, et avec pour seul objectif de favoriser une expression culturelle libre, spontanée et riche en narratifs.

Afac souffle sa neuvième bougie. Un bilan est donc à dresser. Vos impressions générales ? Vos sentiments à ce jour ?
Après ces années de travail, nous réalisons encore plus l'importance d'Afac. Dans un monde qui est déchiré par les conflits, l'extrémisme, le narratif stéréotypé des médias de masse, les projets subventionnés par Afac continuent à apporter des histoires parallèles authentiques, qui reflètent la réalité du monde arabe, l'espoir d'un avenir meilleur, le désir de sortir de la crise et une créativité fébrile en constant désaccord avec la réalité politique amère désenchantée.
Nous sommes encore plus confortés dans la certitude que l'art et la culture sont les outils de choix pour contrer nos problèmes sociaux et politiques. Il est triste de constater, par contre, que le soutien à des projets tels que ceux d'Afac se trouvent en compétition, d'une part, avec les besoins humanitaires pressants, au lieu de se complémenter, et d'autre part avec des projets culturels plus visibles et plus attrayants, comme les musées ou les établissements privés, qui absorbent un capital énorme de mécènes arabes.
Nous poursuivons le développement de mesures tangibles à travers lesquelles nous communiquons avec nos mécènes et sponsors. Par exemple, une étude de projets depuis 2007 nous permet de conclure que plus de 9 millions de spectateurs ont été exposés à nos projets, et que plus de 11 000 professionnels ont été impliqués dans ces mêmes projets.

Pouvons-nous dire qu'Afac a redessiné le schéma de la philanthropie dans le monde arabe, et plus particulièrement au Liban ? Dans ce registre, expliquez-nous le but et le fonctionnement d'Acef. A-t-il abouti en 2014 et 2015 ?
Absolument, durant les dernières cinq années, Afac a largement contribué au développement de la philanthropie stratégique (en contraste avec la charité ou les dons « tactiques »).
Le Arab creativity & entrepreneurship fund (Acef) a été lancé en 2014 comme une nouvelle plateforme à travers laquelle les mécènes peuvent soutenir la scène culturelle et artistique dans le monde arabe et les communautés arabes dans le « mahjar » (NDLR : selon un schéma de crowdfunding ou de financement participatif). Comme la région est de plus en plus amenée à se redéfinir face aux clichés de l'intolérance, à l'extrémisme, au sous-développement et à l'effervescence politique, investir et miser dans la diversité, la tolérance et la créativité devient une priorité. Après le succès du premier round l'année dernière, Acef 2015 a été mis en route. En acquérant 1 000 actions à 1 000 dollars US chacune, les actionnaires d'Acef 2015 investissent au total un million de dollars qui serviront à alimenter cinquante projets artistiques indépendants. À ce sujet, soulignons le professionnalisme, l'accessibilité et la transparence des processus à travers lesquels les projets sont sélectionnés par un comité qui privilégie, entre autres, la qualité et les coûts biens étudiés.
L'objectif étant de recueillir un million de dollars US. En 2014, nous avons pu récolter 740 000$. Cette année, nous nous rapprochons un peu plus du but avec 850 000$ au compteur jusqu'à présent.

Le nombre de projets qui bénéficient du soutien de l'association a augmenté au fil des années. En quantité ? En qualité ?
Le nombre de projets augmente régulièrement. Plus de 800 bourses ont déjà été octroyées à des individus et à des institutions culturelles. De plus, nous percevons une amélioration visible dans la qualité des demandes reçues et, en conséquence, des projets finaux. Tout semble indiquer que le savoir-faire des artistes arabes est en hausse. Cela reflète en évidence une bonne prise en main, un travail sur soi continu, une réflexion qui progresse sur le rôle de l'art à changer le monde...

Les artistes soutenus par Afac le sont-ils uniquement à travers les bourses ? Assurez-vous un suivi ? Un service « après-vente » ?
Au-delà du soutien financier, il existe une entraide technique : mettre en liaison les artistes, relier ces derniers à des producteurs, des distributeurs et des promoteurs. Au local comme à l'international. Le club « alumni » de l'Afac s'accroît d'année en année : 800 bénéficiaires, 150 membres de jury, un nombre croissant de partenaires locaux et internationaux. Tout cela répond à notre objectif de promouvoir un monde arabe relié par le biais de la culture.

Dans le choix que vous opérez, certaines œuvres peuvent être idéologiquement engagées. Soutenez-vous ces œuvres même si vous ne partagez pas le point de vue présenté ?
Question pointue... Afac se veut impartial. Le choix des projets se fait uniquement par le biais d'un comité de jurés indépendants et qui se renouvelle chaque année. Ils prennent en considération la qualité, l'innovation, la pertinence au monde arabe et la faisabilité financière. Donc indépendamment des opinions, idéologies et orientations quelconques.

L'art produit actuellement dans le monde arabe a-t-il des préoccupations bien précises ? Répond-il à son époque ?
Absolument, l'art est un miroir de nos sociétés contemporaines. Il répond à la crise aiguë que nous traversons. Aujourd'hui, c'est une réflexion pessimiste sur la contre-marée qui a suivi l'euphorie du printemps arabe d'il y a quatre ans. C'est le désarroi face au retour des dictatures qui ont repris le dessus. Par contre, ici et là, un optimisme perce, une pensée émerge, une constatation s'affirme : pas de retour en arrière. Les artistes sont les précurseurs du sentiment public. Et la musique, le cinéma, les arts visuels en sont le reflet.

Vous soutenez les œuvres de cinéma, de littérature, de musique. À quelles disciplines les artistes s'intéressent-ils le plus ? D'autres à encourager ?
Nous établissons une mise à jour continue des priorités. Chaque année, un nouveau programme spécial est lancé, il se joint à nos 6 appels à projets généraux. Il y eut le programme dédié au film documentaire, un autre consacré à la photo documentaire et des ateliers pour l'écriture de romans.

Vous annoncez bientôt les noms des boursiers 2015. Et vous organisez le dîner annuel pour lever des fonds. Au programme ?
Nous allons projeter une série de courts-métrages qui donnent une idée des projets couverts en 2015. Un jeune artiste syrien, Omar Imam, en collaboration avec le Libanais Hussein Baydoun, fera une installation qui traite de la vie des réfugiés syriens d'un point de vue surréaliste. Le spectacle Bar Farouk de Hicham Jaber nous replongera dans l'ambiance des années 30 à 70 par le biais de chansons de Chouchou, Sabah, Ferial Karim...

De nouvelles orientations pour l'année et les années à venir ? Allez-vous entreprendre de nouveaux programmes ?
L'année prochaine, nous comptons lancer un programme spécial sur la danse contemporaine dans le monde arabe. Le moment ne peut être plus propice. Avec la montée de l'extrémisme, en plein débat sur la liberté d'expression et sur le corps comme instrument d'expression ou de répression, nous mettons de nouveau la lumière sur un genre artistique négligé ou inconnu dans nos communautés.

Dernière question : circulez-vous toujours à bicyclette ?
Absolument, cela garde la forme et me permets d'éviter les embouteillages de Beyrouth !

Sous nos cieux, l'aide publique aux arts et à la culture manque souvent, et terriblement, à l'appel. C'est justement pour combler cette lacune que le Fonds arabe pour les arts et la culture (Afac) a été créé en 2007. Une initiative arabe indépendante lancée par des lobbyistes culturels locaux, dont l'ancien ministre de la Culture Ghassan Salamé, président actuel d'Afac, avec le soutien...

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