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Liban - Environnement

Pourquoi le projet d’incinérateur à Dhour Choueir a déclenché une très vive polémique

Des copropriétaires du terrain sur lequel sera située la machine, financée par deux hauts cadres aounistes, portent plainte. La municipalité affirme que « la justice doit trancher ».

Une photo fournie par certains copropriétaires qui prouve, selon eux, l’abattage d’arbres sur le terrain.

Dans une verte vallée à Aïn Sindyané, en contrebas de Choueir, dans le Metn, les travaux battent leur plein sur un terrain boisé. C'est là qu'est aménagé un terrain qui devrait accueillir un petit incinérateur, devant traiter les déchets de Choueir et de Aïn Sindyané, et peut-être d'autres villages à l'avenir, à l'initiative du ministre Élias Bou Saab, lui-même originaire de la région et ancien président du conseil municipal de Dhour Choueir, et de l'ancien ministre Fadi Abboud – tous deux aounistes. Le projet est mis en application par la municipalité. Élias Bou Saab a même annoncé hier, dans une déclaration à notre confrère al-Akhbar, que l'incinérateur sera installé d'ici à vendredi – selon des informations de L'Orient-Le Jour, la machine se trouve déjà dans la cour d'une usine voisine.
Outre les caractéristiques de l'incinérateur en question, dont M. Abboud nous donne les détails (lire plus bas), cette affaire pose un problème lié à la localisation géographique de cette installation, sur un terrain dont plusieurs copropriétaires disent n'avoir pas tous approuvé le projet, et qui ont déjà porté plainte. La municipalité dément en bloc.

Le terrain appartient à la base à deux familles originaires de la région, les Imad et les Barakat, dont les héritiers se trouvent au Liban et à l'étranger, explique à L'OLJ Naëf Imad, l'un des héritiers. L'autorisation écrite d'utiliser le terrain pour l'installation de l'incinérateur a été donnée par une des copropriétaires, qui, selon Naëf Imad, possède 48,2 % des actions. Il assure qu'aucun des autres n'était au courant (cette dame est apparemment la seule survivante de sa génération de propriétaires). « Nous avons été surpris de savoir, en fin de semaine dernière, que des travaux étaient en cours sur ce terrain, qui, de plus, est classé zone verte, explique-t-il. Nous avons été d'autant plus étonnés d'apprendre qu'il s'agit de l'installation d'un incinérateur. Au-delà du conflit sur le terrain, nous sommes contre l'installation d'un incinérateur à cet endroit. »

Plusieurs copropriétaires ayant 25 % des actions, que M. Imad représente au Liban, ont porté plainte par le biais de leur avocat Joseph Dagher. Celui-ci explique à L'OLJ les détails de la procédure. « La personne qui a donné l'autorisation des travaux possède un peu plus de 48 % des actions, ce qui signifie que les autres possèdent un peu plus de 51 %, dit-il. Or selon la loi, dans les cas de copropriété, il faut, pour la moindre autorisation de travaux, l'accord des propriétaires de 75 % au moins des parts. Pour des travaux de l'ampleur de ceux entrepris actuellement sur le terrain, l'unanimité est exigée. On est loin du compte dans ce cas. Comment, alors, les travaux ont-ils commencé sans qu'une telle unanimité ne soit assurée ? »

L'avocat nous explique que la famille a porté plainte une première fois, jeudi dernier, auprès de l'avocat général spécialisé dans les affaires environnementales Claude Ghanem. Les plaignants ont invoqué également l'abattage d'arbres centenaires sur le terrain. Celui-ci prend alors la décision d'interrompre les travaux, avant de se rétracter, toujours selon Joseph Dagher, estimant qu'il s'agit d'un conflit civil impliquant des copropriétaires et pas un délit pénal. Me Dagher nous affirme s'apprêter à porter plainte auprès du juge des référés, pour demander l'arrêt immédiat des travaux.

(Lire aussi : Déchets : journée décisive aujourd'hui)

 

« À titre d'essai »
Interrogé sur cette affaire, Habib Moujaès, président du conseil municipal de Choueir, a précisé « avoir demandé au reste des propriétaires de produire les papiers prouvant leur droit sur cette propriété, avant de prendre ce facteur en compte ». Il affirme que « la municipalité, qui est connue pour sa crédibilité, ne se serait pas lancée dans cette entreprise si elle n'avait pas les documents nécessaires ». Quand on lui fait remarquer que les autres propriétaires ont porté plainte contre la municipalité auprès de la justice et de la gendarmerie de Dhour Choueir, il rétorque que « cette affaire relève du conflit personnel et doit être tranchée par la justice, alors que l'installation d'un incinérateur pour régler le problème des déchets de toute une région relève de l'intérêt public ».
À noter que Naëf Imad et Joseph Dagher affirment que les héritiers ont les papiers nécessaires et sont prêts à les produire dans le cadre de cette affaire.

À la question de savoir pourquoi ce terrain en particulier, M. Moujaès explique qu'il présente la particularité d'être en contrebas du village, loin des habitations, étant donné que d'autres terrains auraient fait l'objet d'un refus des riverains. Il s'agit cependant d'un endroit vert qui a déjà été déboisé en partie (à l'observation, il est clairement défriché )... Le responsable municipal dément qu'il y ait eu abattage d'arbres, soulignant que le terrain est resté inchangé, et qu'une route y mène. Ce n'est pas le son de cloche qui nous parvient de Naëf Imad qui assure que des chênes centenaires ont été arrachés, ajoutant avoir porté plainte auprès du ministère de l'Agriculture.
Pour sa part, Habib Moujaès accuse ses détracteurs « de vouloir simplement stopper un projet d'intérêt public, qui est la seule solution viable pour la région ». « Cet incinérateur sera là à titre d'essai, et sera adopté si tout fonctionne bien », ajoute-t-il.


(Lire aussi : Aux routes noyées et canaux bouchés, s'ajoute la menace des maladies infectieuses)

 

« Incinérateur 4e génération et tri au préalable »
Sur le plan technique, pourquoi avoir opté pour l'incinération, une solution pour le moins controversée ? C'est Fadi Abboud qui répond aux questions de L'OLJ. « Nous allons l'essayer pour voir s'il s'agit de la solution dont nous avons besoin, souligne-t-il. Dans une crise de cette ampleur, en tant que figures politiques, il nous fallait faire cet apport à la vie publique. » Il indique, en réponse à l'une des questions, que, selon la loi qui régit les douanes, il n'est nul besoin de passer par le ministère de l'Environnement pour obtenir le permis d'importation d'une telle machine.

L'incinérateur qui sera installé à Dhour Choueir a une capacité de huit mètres cubes (il traitera en moyenne une tonne par heure, mais cela dépend du type de déchets, souligne M. Abboud) et coûtera environ 350 000 dollars, qui seront financés par MM. Abboud et Bou Saab. L'ancien ministre, lui-même un industriel, assure « qu'il n'y a pas de risque d'un point de vue environnemental, que ce genre d'incinérateurs très évolués est monnaie courante dans plusieurs pays européens, notamment ».
« Il s'agit d'une incinération en deux étapes, explique-t-il. L'incinération des déchets se fait à 900 degrés. Les gaz émis sont ensuite acheminés vers une autre chambre où ils sont soumis à un traitement par l'exposition à une température de 1 250 degrés. Je peux vous assurer qu'un camion qui passe pollue l'atmosphère dix fois plus que cet incinérateur. De plus, avec tous les déchets qu'on incinère actuellement de manière totalement sauvage au Liban, nous avons déjà causé des émissions de toxines équivalant à au moins quarante ans de ce qu'un incinérateur performant pourrait émettre. Mais il y a malheureusement une campagne systématique de diabolisation de l'incinération. »
Les écologistes s'inquiètent des cendres toxiques résultant de ce procédé. « C'est un mensonge, on n'obtient pas de cendres toxiques si les déchets placés dans l'incinérateur ne sont pas eux-mêmes toxiques. Partout en Europe, ces cendres sont mélangées avec de l'asphalte », affirme l'ancien ministre.

À la question de savoir, justement, quels déchets seront incinérés dans cette machine, M. Abboud insiste sur le fait qu'il s'agira des déchets inertes, en aucun cas ceux qui peuvent être recyclés ou composés. « Il y aura donc un tri au préalable, les déchets ne seront pas jetés tels quels dans l'incinérateur », insiste-t-il. Y aura-t-il une opération de compostage complémentaire? « Il faut savoir que le compostage abouti est celui opéré seulement sur des déchets verts, dit-il. Or le tri, comme il est pratiqué actuellement au Liban, laisse même des restes d'aliments cuisinés, de viande... Les déchets dont on ne peut plus rien faire sont ceux qui passent par l'incinérateur. »


(Lire aussi : La journée en blanc a rallié de nombreux Libanais)

 

La création de dioxine est « inévitable »
Interrogée sur cette affaire dont elle a eu vent, Fifi Kallab, experte en socio-économie de l'environnement et présidente de Byblos Ecologia, se dit toujours « résolument contre l'incinération ». « Même les incinérateurs performants continuent de produire de la dioxine, une matière cancérigène, soit dans les filtres (le gaz récupéré dans la chambre), soit dans les émissions, dit-elle. Les filtres coûtent très cher. Et ce qui m'inquiète le plus, c'est que nous n'avons pas de laboratoires pour mesurer les émissions de dioxine au Liban, nous n'avons pas d'experts pour entretenir ces machines. » En ce qui concerne le traitement des gaz à très haute température, comme dans l'incinérateur qui sera installé à Choueir, elle reconnaît que la dioxine, qui est ce qu'on appelle un « polluant organique persistant » (POP, qui reste longtemps dans la nature), se décompose à très haute température, mais se recompose quand la température baisse.
« Le Liban a signé la Convention de Stockholm (sur les POP), ce qui l'oblige à interdire toute émission de dioxine d'ici à 2025, poursuit Fifi Kallab. Cela ne cadre pas avec l'installation d'incinérateurs. »

Pour ce qui est de l'argument de l'incinération de matières inertes seulement, l'écologiste souligne qu' « il existe des matières inertes dangereuses comme la peinture, les déchets d'abattoirs, les insecticides... ». « Et, d'ailleurs, si l'on devait importer des incinérateurs, dont les coûts d'achat et d'entretien sont bien connus, rien que pour incinérer des matières inertes non dangereuses, qui peuvent être stockées sans danger dans d'anciennes carrières par exemple, le jeu en vaut-il la chandelle ? » conclut-elle.

 

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Dans une verte vallée à Aïn Sindyané, en contrebas de Choueir, dans le Metn, les travaux battent leur plein sur un terrain boisé. C'est là qu'est aménagé un terrain qui devrait accueillir un petit incinérateur, devant traiter les déchets de Choueir et de Aïn Sindyané, et peut-être d'autres villages à l'avenir, à l'initiative du ministre Élias Bou Saab, lui-même originaire de la...

commentaires (6)

Bien venue au Liban. Sans être résolument contre l'incinération, qui est une solution pratiquée par les pays où les terrains ne sont rares pour enfouir (comme le les Pays Bas, le Japon...)et le Liban en fait partie. Mais, il faut que cela se fasse dans les règles de l'art, soit en Europe, les meilleures pratiques et surtout il faut du controle des émissions; et spécialement les dioxines, hautement concérigènes. Et l'incinération des déchets = dioxines, c'est un fait indiscutable. Oui, la technologie existe pour une incinération saine; sous réserve de controle; et cela se pratique dans tous les pays du monde. Mais au Liban; qui va controler? Sans assurance sur ce point, c'est non, non à l'incinération "out of control". Certainement, les responsables de Dhour El Choueir et du Choueir sont de bonne foi car comme dit le proverbe, aides-toi et Dieu t'aidera. L'état est incapable d'apporter une solution (et probablement cela n'est pas son rôle) c'est normal que les communes prennent la main. Mais sont-elles bien conseillées? Les Libanais débordent de compétences, et celle-là est parmi les miennes. Même si un incinérateur est une solution, l'installer dans une couvette est un risque car comment les fumées vont-elles se disperser? Loin des émotions, ce dossier doit être traité en toute transparence. Et si possible, SVP LOJ, transmettre mon commentaire et mon e-mail à Mr Saab. Je suis prêt à aider. Bruxelles, 30.10.15 ZGHabib, PhD, Energy & Environment

PPZZ58

21 h 42, le 30 octobre 2015

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Commentaires (6)

  • Bien venue au Liban. Sans être résolument contre l'incinération, qui est une solution pratiquée par les pays où les terrains ne sont rares pour enfouir (comme le les Pays Bas, le Japon...)et le Liban en fait partie. Mais, il faut que cela se fasse dans les règles de l'art, soit en Europe, les meilleures pratiques et surtout il faut du controle des émissions; et spécialement les dioxines, hautement concérigènes. Et l'incinération des déchets = dioxines, c'est un fait indiscutable. Oui, la technologie existe pour une incinération saine; sous réserve de controle; et cela se pratique dans tous les pays du monde. Mais au Liban; qui va controler? Sans assurance sur ce point, c'est non, non à l'incinération "out of control". Certainement, les responsables de Dhour El Choueir et du Choueir sont de bonne foi car comme dit le proverbe, aides-toi et Dieu t'aidera. L'état est incapable d'apporter une solution (et probablement cela n'est pas son rôle) c'est normal que les communes prennent la main. Mais sont-elles bien conseillées? Les Libanais débordent de compétences, et celle-là est parmi les miennes. Même si un incinérateur est une solution, l'installer dans une couvette est un risque car comment les fumées vont-elles se disperser? Loin des émotions, ce dossier doit être traité en toute transparence. Et si possible, SVP LOJ, transmettre mon commentaire et mon e-mail à Mr Saab. Je suis prêt à aider. Bruxelles, 30.10.15 ZGHabib, PhD, Energy & Environment

    PPZZ58

    21 h 42, le 30 octobre 2015

  • Lamentable! Ici ils convertissent une zone verte en zone d'incinération de déchets. Ailleurs, même comme dans les régions les plus pauvres du Brésil, il s'est trouvé un simple citoyen qui a converti une zone dépotoir de déchets, en une zone verte, un beau jardin!!! Incroyable!!!

    Zaarour Beatriz

    21 h 43, le 29 octobre 2015

  • MÊME SI LE GOUVERNEMENT ( BOYCOTTEURS EXCLUS ) CHOISIRAIT LE DERNIER ET PLUS ARRIÉRÉ DES SOMMETS Où LES VAUTOURS AURAIENT PEINE À Y ACCÉDER... L'ABRUTISSEMENT Y TROUVERAIT À REDIRE ET À BOYCOTTER...

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 09, le 29 octobre 2015

  • On a le sentiment en lisant l'article , que l'aire de l'incinérateur 'privée' est lancée , à l'instar du générateur de quartier, signe de la déliquescence de l'état… A quand la privatisation de l'air?

    LeRougeEtLeNoir

    09 h 45, le 29 octobre 2015

  • Tous des pourris. Et bien sur qui est derriere ce nouveau scandale ??? 2 affairistes à la solde du CPL. Quick buck mentality......au repris de tout le reste. TTffh !

    Tabet Karim

    09 h 06, le 29 octobre 2015

  • Encore un projet a la Libanaise ! on fait d'abord et on réfléchi après On ne prends aucune précaution juridique et on ne respecte aucune loi Et le comble ce projet est fait par des gens qui passent leur vie a critiqué la méthode Hariri dans le reconstruction du centre ville !!!

    yves kerlidou

    08 h 23, le 29 octobre 2015

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