Une décennie déjà s'est écoulée depuis la funeste journée de ce dimanche 25 septembre 2005 lorsque May Chidiac a été grièvement blessée dans un attentat aux explosifs qui l'a visée alors qu'elle était à bord de sa voiture dans la région de Jounieh. Sauvée miraculeusement, au prix d'une longue série d'interventions chirurgicales rendues nécessaires par les séquelles de l'explosion, May Chidiac conserve toujours son attachement inconditionnel au Liban qu'elle « voulait voir libéré ». Elle exprime dans le même temps une forte colère, que reflète son regard, à l'égard de la situation actuelle dans le pays.
May Chidiac a « accepté de sacrifier sa carrière pour que les nouvelles générations jouissent d'un Liban libre ». Elle avait perçu dans la révolution populaire du 14 mars 2005 une opportunité d'atteindre cet objectif. Or la réalité politique a profondément modifié cette attente. Elle souligne que « dix ans se sont écoulés depuis 2005, mais, dès le début, c'était une révolution avortée ». « Le fait de ne pas pouvoir faire chuter le président de la République, à l'époque Émile Lahoud, signifiait que nous n'avons pas pu opérer un changement radical pour édifier un nouveau Liban, souligne Mme Chidiac. Ensuite, la guerre de 2006 est venue voler les acquis de 2005 en détournant l'attention vers une soi-disant " victoire ". Petit à petit, nous avons senti que toute notre lutte s'est évaporée », dit-elle avant de dresser un constat marqué d'une profonde amertume : « Dix ans après, j'ai l'impression que le Liban recule au lieu d'avancer. Nous voulions un État souverain et indépendant, mais nous nous trouvons face à un pays chancelant qui n'arrive pas à élire un président pour les considérations étrangères, en plus des conséquences des guerres dans les pays voisins, que nous subissons quotidiennement. »
Face à ce sombre tableau, May Chidiac se montre pessimiste car « nous ne savons même pas s'il y a encore des acquis à récupérer ». « Et, en ce qui me concerne, le pays ne me ressemble plus », lance-t-elle avec amertume. Sur un ton triste, elle relève que « si nous n'avions pas déploré des efforts, cette année, pour rappeler au grand public qu'une décennie entière s'est écoulée depuis la vague d'attentats à la voiture piégée, le peuple libanais aurait complètement oublié cette phase, comme si la page de 2005 avait été totalement tournée et que nous étions passés à autre chose ».
(Lire aussi : May Chidiac, 10 ans déjà...)
Autocritique
May Chidiac est franche et courageuse. C'est dans ce cadre qu'il faut placer l'autocritique à laquelle elle se livre concernant l'attitude du 14 Mars dont elle est l'une des principales figures : « Les 14 Marsistes sont passifs. Au lieu de passer à l'action, ils ne réussissent qu'à réagir, de temps en temps. Ils laissent passer les événements pour en tirer profit, si cela s'avère possible. »
Sur un autre plan, l'ancienne journaliste de la LBCI n'épargne pas ses critiques à l'égard de la situation dans un pays qu'elle aime, malgré tout, au point d'avoir « accepté de perdre la moitié de mon corps » (lors de l'attentat de septembre 2005). Selon Mme Chidiac, « nous sommes en pleine ébullition et le pays va à la dérive ». « C'est un système bloqué qui sera modifié d'une façon ou d'une autre », souligne-t-elle.
Il n'y a pas que le plan national qui a été profondément bouleversé depuis 2005. La sphère purement personnelle de Mme Chidiac a, elle aussi, subi les conséquences fâcheuses d'un attentat qui a failli lui coûter la vie. En 2005, elle avait déjà fait ses preuves et réussi sa carrière de journaliste. Certains voyaient en elle une icône de la beauté et un modèle à suivre dans le domaine des médias, en particulier quand il était question du petit écran. Mais, en une fraction de seconde, tout ce tableau brillant s'est effondré, laissant la place à un long chemin de souffrances, de peines et d'opérations chirurgicales (au nombre de 40), en vue de lui rendre son dynamisme et sa présence sur la scène médiatique : « Les criminels ont volé les plus belles années de ma vie... Ils ont volé ma vie en volant la moitié de mon corps. Je n'ai plus pu avoir une vie normale », dit-elle. Mais elle ne manque pas de dévoiler « le secret » de sa persévérance et de son sourire : « J'ai été assez forte en planifiant des projets pour l'avenir et en refusant de reculer et de me lamenter sur mon sort. Mais si je suis forte, cela n'occulte aucunement la réalité. J'ai souffert et je souffre davantage car je n'ai plus retrouvé le Liban pour lequel j'ai sacrifié ma vie, ma carrière et mon corps. »
À cet égard, une question paraît évidente : Comment May Chidiac définit-elle « son Liban » ? Elle répond qu' « il est temps d'accepter les différences, tout en continuant à vivre avec les autres ». « Personnellement, je suis pour un fédéralisme basé sur la façon de vivre, et tous ceux qui veulent vivre comme moi sont les bienvenus, quelle que soit leur religion, car je suis fatiguée de m'imposer un mode de vie dont je ne veux pas », ajoute-t-elle.
La Fondation May Chidiac
Parallèlement à toutes ses peines et blessures, la fondatrice de la Fondation May Chidiac a dû faire face à plusieurs campagnes portant atteinte à sa personne. Au début, ces campagnes la blessaient, mais elle s'est immunisée pour une très simple raison : « Je me suis réconciliée avec moi-même, et je crois en ma cause noble au point d'accepter de refaire le même parcours si le cas se présentait car j'en suis convaincue », affirme-t-elle fièrement. Une fierté qui cache mal une certaine frustration engendrée par la situation actuelle du pays des Cèdres. En effet, Mme Chidiac voulait libérer le Liban, « mais je ne retrouve plus un pays pour le libérer ». Elle va même plus loin en déclarant : « Je n'ai jamais été aussi dégoûtée qu'aujourd'hui. »
Après son long parcours de soins médicaux, May Chidiac réintègre la LBCI pour une période de trois ans, avant de démissionner et de fonder la « May Chidiac Foundation » qui récompense annuellement les plus grandes figures du monde médiatique, d'une part, et forme les journalistes en herbe, d'autre part. À ce sujet, Mme Chidiac qualifie de « miracle » ce qu'elle a réalisé entre 2005 et 2015, dont notamment la création de la fondation : « J'ai voulu faire de cette " idée " quelque chose de spécial. J'ai donc organisé des conférences, à un niveau international, avec le minimum de moyens, simplement parce que je crois que le Liban devrait être le symbole de la connaissance et de la modernité », souligne-t-elle avant de poursuivre : « Nous finalisons actuellement les papiers de l'Alec (Academy for leadership and applied communication). Nous aurons donc des programmes de formation reconnus par l'État libanais. » L'ambition de Mme Chidiac la mènera avec son ONG à Dubaï pour organiser la conférence « Free Connected Minds » (Cerveaux libres connectés), ainsi que vers un autre pays arabe pour la conférence « Women on the front lines » (Femmes dans les premiers rangs).
« Je ne compte pas quitter le pays, bien que je sois désillusionnée, car j'ai voulu récolter le fruit de toutes ces souffrances et malgré tout je ne perds pas espoir », conclut-elle avec son sourire optimiste.
Pour mémoire
Marwan Hamadé et la mémoire de Gebran Tuéni et Samir Kassir honorés par la Fondation May Chidiac
Émouvante cérémonie pour la remise du prix Phénix 2014 à May Chidiac
Émouvante cérémonie pour la remise du prix Phénix 2014 à May Chidiac
commentaires (6)
"...un fédéralisme basé sur la façon de vivre" ... Merite reflexion.
Remy Martin
21 h 18, le 20 octobre 2015