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Liban - L’éclairage

L’intervention russe ne changera pas le rapport de force, mais permettra à Moscou de consolider son rôle

Toute l'attention des observateurs et des dirigeants occidentaux est focalisée depuis plusieurs jours sur les raids aériens lancés par la Russie en Syrie, du fait, notamment, que cette intervention militaire russe est la première du genre effectuée par Moscou en dehors de son territoire depuis l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques. Parallèlement à la portée géopolitique d'un tel développement majeur, les pôles d'influence sunnites ne manquent pas de dénoncer le fait que la Russie, par le biais de l'Église orthodoxe, a placé ses raids sous l'angle de la « guerre sainte » visant à protéger les chrétiens d'Orient. Les milieux sunnites relèvent dans ce cadre que Bachar el-Assad avait lui aussi tenté de se poser en « protecteur » des chrétiens d'Orient, comme l'avait souligné le vice-président syrien Farouk el-Chareh lors d'une visite qu'il avait effectuée à Rome en pleine crise syrienne.

Il reste qu'au-delà de ce volet bien précis – et fort contesté –, les analystes politiques se penchent sur la détermination des cibles visées par l'aviation russe. Diverses sources occidentales, toutes concordantes, relèvent ainsi que l'aviation russe a visé essentiellement des positions tenues par l'opposition syrienne modérée, soutenue par l'Occident et certains pays arabes, plus précisément les États-Unis et l'Arabie saoudite, sans s'attaquer – ou du moins très peu – aux miliciens de l'État islamique (ou Daëch). Ce comportement a amené plusieurs hauts responsables officiels occidentaux et américains, dont notamment le secrétaire d'État John Kerry, à déclarer sans détour que l'attitude russe ne fait que rendre la situation plus complexe et rend les perspectives de solution politique plus lointaines du fait que l'intervention de Moscou semble se limiter à empêcher la chute du régime Assad sans s'attaquer à Daech, comme le prétendait au départ Moscou. Les dirigeants occidentaux ont par conséquent demandé expressément au pouvoir russe de rectifier le tir et de concentrer désormais ses raids sur les secteurs tenus par l'État islamique.

Quant à l'opposition syrienne modérée, ou non jihadiste, elle accuse la Russie d'avoir lancé une croisade contre elle, affirmant qu'elle ne passera pas sous silence une telle attitude et qu'elle ripostera en temps opportun. En tout état de cause, nombre d'observateurs militaires écartent la possibilité que les raids russes aient pour conséquence de bouleverser le rapport de force sur le terrain et de provoquer ainsi un grand changement dans la donne au niveau de l'évolution du conflit syrien. Les factions de l'opposition syrienne sont désormais accoutumées aux raids aériens, et, de ce fait, l'option militaire russe ne modifiera pas radicalement la situation.

Sur le plan purement opérationnel, les attaques lancées par l'aviation de Moscou contre des positions de l'opposition modérée dans les régions de Homs et d'Alep avaient essentiellement pour but d'assurer à nouveau la liaison routière entre Damas et Lattaquié. L'objectif recherché par le président Vladimir Poutine dans ce cadre est d'éviter la chute de Bachar el-Assad après que les combattants de l'opposition eurent réussi récemment à étendre la zone qu'ils contrôlent à Homs et Alep en coupant l'axe routier qui relie la capitale à Lattaquié. Si le pouvoir russe s'emploie de la sorte à sauver le régime syrien, c'est essentiellement afin d'avoir entre ses mains un instrument de pression dans ses négociations avec les États-Unis. Un haut responsable politique local établit à ce propos un parallèle entre l'intervention russe et l'implication du Hezbollah dans la guerre syrienne, plus précisément dans le Qalamoun. Cette participation directe du Hezbollah aux combats avait aussi pour but d'empêcher la chute de Bachar el-Assad, la République islamique iranienne estimant que ses intérêts stratégiques à l'échelle régionale lui imposaient de continuer à contrôler la carte du régime syrien.

Dans sa partie de bras de fer engagée avec le camp occidental, le président Poutine veut éviter, à l'évidence, que ne se répète le précédent de la Libye où la Russie a été totalement écartée du changement intervenu dans ce pays. Le Kremlin cherche ainsi, par le biais de son intervention militaire en Syrie, à se réserver une place au soleil sur la scène moyen-orientale de manière à obtenir sa part du gâteau dans le partage d'influence dans la région. Moscou craint par-dessus tout un marché américano-iranien portant sur les dossiers du Moyen-Orient et prend donc les devants pour préserver sa présence sur les rives de la Méditerranée. Le pouvoir russe se pose en outre en défenseur des minorités, ce qui lui permettrait d'éviter que les États-Unis et leurs alliés s'octroient le monopole de l'influence dans la région.

À la lumière de ce contexte géopolitique, la question est de savoir si les attaques aériennes russes en Syrie risquent de déboucher sur une confrontation régionale, voire sur un conflit armé américano-russe. Un expert militaire écarte une telle éventualité et affirme même que les raids aériens ne changeront pas la donne en Syrie et ne modifieront pas, dans une large proportion, le rapport de force sur le terrain. Le dossier syrien demeure en effet au centre des pourparlers entre les grandes capitales. Il reste que les observateurs estiment que l'intervention russe aura comme impact d'accélérer une solution à la crise syrienne. Des responsables occidentaux affirment à cet égard que les tractations américano-russes se poursuivent au sujet de la Syrie afin d'aboutir à un règlement, Washington insistant dans ce cadre sur le fait que tout combat contre Daech ne saurait aboutir aux résultats escomptés qu'à la faveur de l'émergence d'un nouveau directoire et d'un nouveau leader syriens, ce qui implique la mise à l'écart de Bachar el-Assad et l'application des résolutions de la première conférence de Genève sur la Syrie, qui avait recommandé la formation d'un gouvernement de transition en Syrie.
Il apparaît ainsi que l'intervention russe dans la guerre syrienne a principalement pour objectif de couper court à tout marché entre Washington et Téhéran, et de garantir la place et le rôle de Moscou dans toute solution susceptible de redéfinir la physionomie géopolitique du Moyen-Orient.

 

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Toute l'attention des observateurs et des dirigeants occidentaux est focalisée depuis plusieurs jours sur les raids aériens lancés par la Russie en Syrie, du fait, notamment, que cette intervention militaire russe est la première du genre effectuée par Moscou en dehors de son territoire depuis l'invasion de l'Afghanistan par les troupes soviétiques. Parallèlement à la portée...

commentaires (3)

PERMETTRA À MOSCOU... OU DE CONSOLIDER SON RÔLE... OU DE GOÛTER À UN SECOND PLUS AMER ENCORE AFGHANISTAN...

LA LIBRE EXPRESSION

11 h 05, le 03 octobre 2015

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Commentaires (3)

  • PERMETTRA À MOSCOU... OU DE CONSOLIDER SON RÔLE... OU DE GOÛTER À UN SECOND PLUS AMER ENCORE AFGHANISTAN...

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 05, le 03 octobre 2015

  • Tout comme lorsqu'il voulait "perfuser" le régime du président Nagibullah, croyant "consolider" leur rôle en Afghanistan ! Yâ harâm !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 26, le 03 octobre 2015

  • Cet article fait un peu a la va vite , comme pour se rassurer ou rassurer les huluberlus , me fait penser a une opinion que j'ai entendue hier qui disait que les russes volaient au secours des chretiens orthodoxes pour les sauver des.... "fakihistes" ... lol.

    FRIK-A-FRAK

    10 h 14, le 03 octobre 2015

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